mercredi 22 janvier 2014

Rien ne desserrera ces poings

Chez la dame du samedi qui est devenue celle du début de semaine je parle de cette désagréable impression que j'ai de ne pas pouvoir échapper au triste destin que celui de mes grands parents, ma tante, ma mère puis mon oncle, il y a juste un mois et demi [et pourtant je jurerais qu'on parlait de concerts ensemble il y a deux jours]. Lors de ma dernière garde mon interne m'a lancé, après avoir vu un patient qui, pourtant bien que très fumeur et très alcoolique, avait quatre-vingt-dix  printemps et pas l'ombre d'un cancer "la vie est injuste, mais tu peux être sure que si t'as des gènes pourris tu pourras pas y échapper". Est ce que ça veut dire que si ces cinq dernières années la mort a emporté ou frôlé de près cinq de mes amours je mourrai aussi chauve et petit corps pâle au fond d'un lit d'hôpital, quand je serai grande ? 
Chez la dame on enlève ses chaussures en entrant et on monte le grand escaliers en bois qui craque avant de refermer derrière soi la porte de la pièce emplie de bougies et d'encens, où se côtoient des statuettes indiennes et  des peintures abstraites. Il y a des chew gums sans sucres à la fraise et de la Badoit rouge sur la table mais je n'ose jamais me servir. On parle beaucoup du sens des mots pour que j'arrive à exprimer précisément de quoi est faite la boule qui me compresse le je-ne-sais-plus-combientième chakra, celui entre le thymus et le cœur. Elle m'explique pourquoi cette malveillance qui me blesse tant quand elle vient des gens que j'aimerais admirer à l'hôpital et me donne des phrases magiques pour clouer le bec à ceux qui s'obstinent à vouloir démolir piétiner réduire en miette mon rêve de métier.
Chez la dame on parle d'amour et de rencontres. On parle de ce jour de décembre, il y a cinq ans, où je suis tombée sur le blog d'une mère qui venait de perdre sa petite fille d'un vilain cancer. On parle de tout ce qui s'en est suivit, une association une course de cinq kilomètres terminée à plat ventre mais terminée un petit filleul bouclé, et la dame dit que ça vaut tous les matins à traîner des pieds en allant en stage et les nuits de garde à s'endormir debout.
Chez la dame je m'arme.


1 commentaire:

  1. Moi c'est le temps qui m'a appris à m'armer, mais j'aurais aimé plus tôt. Elle a l'air bien la dame du samedi.

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