mercredi 25 décembre 2013

Les paumes ouvertes avec le cœur dedans

J'avais appris à sécher mes larmes, j'essaie maintenant de les laisser couler quand le brouillard emplit mes pensées. J'ai parlé de mon cœur essoré à une dame le samedi après midi qui me dit et me répète d'être indulgente avec moi même. J'apprends à faire la paix. J'ai serré dans mes bras parce que je n'avais plus les mots, j'ai caressé des cheveux avec tout l'amour du monde pendant une éternité, lissant les bouclettes de ma  petite cousine qui ne fêtera plus jamais un anniversaire avec son père. J'ai cuisiné, plus que de raison, parce que c'est la seule chose que mes mains savent faire pour calmer les pensées qui cavalent. J'ai aimé, je crois, sans crainte, et été aimée en retour. J'ai serré sa main à Bordeaux en nous imaginant aller au CHU à vélo dans un futur qui n'existera probablement pas mais qu'il est doux d'inventer, je l'ai emmené dans un salon de thé à Lyon et j'ai ri de sa tête terrorisée par cet univers totalement inconnu et rooose. J'ai travaillé, comme toujours, comme à chaque fois, mais moins bien que les années précédentes. Et tant pis. J'ai appris que ce n'était pas (plus) une priorité. J'ai été éteinte par une tonne de matins passés au bloc, eu le ventre tordu et le cœur serré, puis j'ai rencontré des chefs qui connaissaient mon prénom le premier jour. J'ai été agrippée par de toutes toutes toutes petites mains, on m'a chuchoté qu'on ne m'oublierai pas, j'ai consolé câliné porté changé examiné et quelqu'un m'a dit merci. J'ai accueilli des amies de la fausse vie et plein d'enfants dans ma maison (et même un Poc encore couvé) et on n'a même pas parlé que de médecine. Je suis allée à l'autre bout du monde et eu le souffle coupé. J'ai mangé une gaufre de liège sur les Champs Élysées parce que ce soir là j'avais besoin de me sentir en vie. J'ai marché vite des kilomètres de couloirs d'hôpital et dit bonjour à tout le monde avec ma blouse, bonjour à personne une fois redevenue civile. J'ai accroché une étoile lumineuse dénichée par P. dans ma chambre et je me suis offert un bracelet d'anniversaire. A nos amours, à ceux qu'on nous a enlevés.

J'ai vingt trois ans, je vais résister & croire aux miracles. 


dimanche 15 décembre 2013

vendredi 6 décembre 2013

Moi la nuit je repense au soleil

Je garde ce stage en moi comme un grigri placé juste sous le cœur, à l'endroit où les soirs d'angoisse j'ai l'impression que quelqu’un me piétine, petite boule de coton chaude et duveteuse pour lutter contre ce qui pique. Il y a un an j'étais en gynéco et alors qu'on sortait des bébés du ventre de leur mère et qu'ils disparaissaient de la pièce encore humides je rêvais de sortir en courant et de suivre les pédiatres, au lieu de rester là à refermer, recoudre, réparer (essayer). Il y a un an je pleurais silencieusement dans le bus qui me ramenait chez moi après des gardes à devoir me débrouiller aux urgences devant des dames qui hurlaient, saignaient, criaient ; cette année le soir où j'ai vu allumées les premières décorations de noël dans ma rue je rentrais le cœur gonflé de fierté d'avoir fait ma première vraie prescription toute seule. Je me suis attachée à des bébés, ces minuscules vies qui ne peuvent même pas pleurer car intubés ou téter mon doigt car trop prématurés. Je n'arrive pas à expliquer pourquoi ces bébés là en particulier, ils ne sont ni plus gros, ni plus mignons que les autres, mais quand on annonçait au staff qu'il étaient montés dans les étages vers la sortie il y avait mon cœur qui s'accélère et mes joues qui rosissent. J'ai vu des mères (oui, surtout des mères) venir chaque jour depuis 31, 59, et même 85 jours de vie de leur bébé sans pouvoir lui mettre les petits habits qu'elles leur avaient achetés, sans pouvoir le montrer à leur proche ni même aux frères et sœurs, je les ai vues danser de joie quand une ligne de la prescription disparaissait et que la longue liste des médicaments diminuait. J'ai vu des vrais sourires aux oreilles quand on annonçait une sortie après des mois de réanimation ou qu'on avait enfin les résultats d'un IRM qui montrait que cet enfant là aurait un cerveau normal même en étant né en état de mort apparente. J'ai vu un petit garçon se réveiller quand sa mère passait la porte de l'unité alors que tout notre examen de docteur ne l'avait pas fait ouvrir un œil, un autre se calmer à la seconde  même où mes mains le soulevaient de son berceau, une petite fille pleurer dès que son voisin de chambre était dans les bras de ses parents parce que sa maman à elle n'était jamais venue. J'ai vu la maman de E., mon tout petit bébé préféré qui est arrivé dans le service le même matin que moi mais qui ne sera pas sorti quand je le quitterai, qui ne sera pas chez lui à noël. Un jour j'ai osé aller lui parler et lui dire ce que deux mamans m'avaient conseillé ici, depuis elle me sourit chaque matin et c'est moi qu'elle regarde quand on lui explique les traitements de son enfant. 
Alors qu'on discutait avec un garçon de nos stages respectifs et de leur utilité pour la préparation de l'ECN, moi reconnaissant que ce n'était pas là que j'avais révisé le plus d'items, est sortie de sa bouche cette phrase qui m'a bousculée "mais ce stage il est vie-utile, pour toi". Vie-utile. Il a ouvert les barrières et fait entrer la lumière sur le chemin qu'il reste a parcourir. Il a éclairé l'horizon, là bas, dans 18 mois. 

arriver à l'hôpital chaque matin sous le ciel mauve

(tu vois Marion, avant noël, comme promis :))

dimanche 24 novembre 2013

Il reste toute la vie pour réussir

On est tous rassemblés dans ce salon pour fêter des anniversaires, mais j'ai plutôt l'impression que ce qui nous lie c'est cette peine indicible, indescriptible, cette peine qui se devine dans les yeux un peu rouges au moment d'ouvrir la bouteille de St Amour, "pour mon amour", de savoir qu'il va falloir une nouvelle fois accepter de laisser partir quelqu'un qu'on aime. Comme un fil tissé entres nos cœurs qui tire un peu dès qu'on y pense, et comment ne pas y penser quand on lit dans ses yeux le découragement et qu'on voit dans ses mouvements qu'il n'est déjà plus complètement parmi nous. La dame avec qui je parle une heure un samedi sur deux me dit qu'il faut pleurer, que ça fait partie du deuil. Mais pour tous ceux qu'on a vécus ensemble dans cette drôle de famille que les maladies semblent aimer grignoter, on m'a toujours demandé d'être forte et de ne pas pleurer, pour les autres. Alors lorsqu'une larme me prend par surprise et s'écrase, ploc, sur mon bureau ou mon jean, j'ai l'impression qu'elle contient les litres de tristesse qui ne sont jamais sortis depuis que la mauvaise série de départs a commencé. Des larmes concentrées, peut être. 
La dame me parle beaucoup de cette petite fille que j'ai été et de ces choses dont je dois me libérer, maintenant qu'il semblerait que je sois une grande, pour être pleinement moi. Il faut désapprendre ces préceptes sur lesquels je me suis construite et qui m’engoncent désormais, mais je crois que j'ai de fâcheuses tendances à m'y sentir rassurée dans ce "sois forte", parce que c'est comme ça que je fais depuis vingt trois ans, parce que c'est ce que les autres attendent de moi, parce que ça permet de ne pas trop m'écouter ; bien que je sache à présent qu'il ne me permet que de m'auto-saboter. Mais, mais, la réparation-reconstruction est en marche. 



vendredi 1 novembre 2013

Des chaînes d'or d'étoile à étoile, et je danse

C'est à chaque fois un peu plus difficile de le laisser tourner les talons une fois arrivés devant la porte de chez moi en rentrant de quelques jours en amoureux. Son dos qui trouve naturellement sa place tout contre le creux de mon ventre, ma bouche dans le bas de son cou si chaud, nos mains qui se serrent fort au moment de sombrer dans le sommeil pour essayer de retenir les cauchemars qui m'assaillent souvent la nuit me manquent quand je retrouve mes draps froids. Les retours à Paris sous la pluie sentent le réveil qui sonne avant le lever du jour et il n'est pas là pour sourire à mes yeux qui émergent péniblement, pas là pour recueillir mes larmes quand je ne comprends plus rien, ne retiens plus rien, ne veut plus rien faire ou tout laisser derrière moi, pas là pour le thé de dix-sept heure qu'il me réclame désormais. & le thé toute seule, ça a moins de saveur vous en conviendrez, et les joues rouges de froid ça n'a pas d'intérêt si ce n'est de se les faire embrasser. 
Cette nuit j'ai fait un de ces rêves immense, de ceux qui durent toute la nuit et entourent la tête de brouillard au réveil. J'étais enceinte et dans un couloir d'hôpital peint en jaune beurre, mon enfant à naître devait être une fille mais s'avérait finalement être un garçon appelé Théo parce que je ne connaissais aucun autre prénom, je l'emmenais dans une immense maison mais un homme recouvrait son tout petit visage de linges rouges pour qu'il dorme et il ne respirait plus quand je le découvrais. Je crois que j'ai peur de lire les prénoms sur la feuille du staff de lundi matin, quand je retrouverai le service chaud et sombre de réanimation. Je voudrais que tous les disparus des petites couveuses aient retrouvé les bras de leurs parents mais je sais malgré moi que parfois la vie ne retient pas ceux dont la main fait la taille de la première phalange de mon pouce. Alors je (me) raconte des jolies histoires d'étoiles, d'enfants qui en accueillent d'autres loin de ces services où leur cœur a cessé de battre. Cette semaine une toute petite fille de cinq ans les a rejoint, avec son crâne chauve et ses paillettes plein les yeux. C'est un peu pour elle que demain je vais me replonger dans les livres, pour un jour pouvoir dire à un autre petit enfant que son cœur ne s'arrêtera pas dans un service d'oncopédiatrie, pas cette fois, qu'il s'arrêtera de battre dans mille ans, au moins. 
De mes draps froids j'entends la pluie fouetter contre la vitre les feuilles de la vigne vierge, hello november



dimanche 20 octobre 2013

Ouvrez la parenthèse important mais pas grave

A ma droite la bougie Hibiscus Pourpre brûle lentement. Sur mon bureau le livre d'oncologie gît sous une pile de papiers, attendant que je daigne parcourir de nouveau ses pages. Le problème avec l'oncologie, c'est qu'elle est déjà bien trop présente dans ma vie au quotidien pour que j'ai envie de me plonger dans ses subtilités. Le problème quand on est en médecine et que chacun des membres de sa famille rencontre le crabe l'un après l'autre c'est qu'on est celle qui doit rassurer, celle à qui on montre un compte rendu de bilan d'extension entre le fromage et la mousse au chocolat et qui croise les doigts et répète dans sa tête pourvu que je ne lise pas métastase cérébrale pourvu pourvu pourvu, celle qui ment à la question mais il va guérir ? parce que ce n'est pas à elle de toujours annoncer les mauvaises nouvelles, celle qui parfois sait et ne voudrait pas savoir. & celle à qui on en veut, souvent, d'avoir dit la vérité. 
Le problème avec médecine ce sont aussi ces dimanches après-midi ensoleillés, ceux où le froid parisien pique les joues mais les rayons font cligner les yeux, ceux où on aimerait se promener le long de la Seine en amoureux avant d'aller se réchauffer les mains autour d'une pâtisserie ou de pancakes géants, mais qu'on passe toute seule devant ses livres en compagnie de la bougie Hibiscus Pourpre pour se donner du courage. On apprend finalement à aimer les soirée pluvieuses-thé fumant à lutter pour ne pas s'endormir devant la bonne douzaine de traitements à apprendre (avec leurs effets secondaire, pour le fun) parce que même les gens avec une vie normale ne peuvent pas tellement faire mieux à ce moment là.


dimanche 6 octobre 2013

Combien pesait ma peine

Si je sais bien qu'on ne doit pas s'attacher à ses patients je n'ai pas réussi à chasser de mes pensées la vision de ce tout petit dos violet, violet d'hurler de pleurer de supplier à sa façon qu'on arrête de l'emmerder avec nos examens, ce tout petit dos de ce tout petit garçon qui n'avait rien demandé d'autre que de naître et qui s'est retrouvé branché à bien plus de fils qu'il n'avait d'heures.

Si je sais que c'est moi l'enfant et elle la mère je ne peux pas rejeter complètement ce rôle qu'elle me demande d'endosser pour la rassurer protéger, être celle qui explique et qui sait alors que je ne sais r-i-e-n. Et que j'ai peur, moi aussi. Quand elle pleure à table et que je voudrais crier je lui dis doucement tous les arguments que j'invente à mesure pour la convaincre que non non, la maladie ne revient pas. Mais je n'en sais r-i-e-n.  

Si je sais qu'il m'aime, si il l'a dit, à quoi bon s'aimer si on ne peut pas imaginer un lendemain un tout petit peu plus loin sous prétexte qu'on n'a que vingt-trois ans ? Ça compte pour du faux, l'amour, à vingt-trois ans ? 

Parfois, le chocolat chaud à l'amande ne suffit plus au dimanche après midi. 

jeudi 3 octobre 2013

A rire ou à pleurer, du moment qu'on en vit

Le sourire est apparu derrière mon masque quand j'ai vu sur l'horloge du bloc qu'il ne me restait plus que quelques minutes à passer là, irrépressible. Quand j'ai eu fini de faire le dernier nœud du dernier point je n'ai pas arraché ma casaque tout de suite, j'ai d'abord voulu profiter un instant de la satisfaction qui m'envahissait d'avoir fini (f-i-n-i) et de la litanie qui inondait ma tête plusjamaisplusjamaisplusjamais. On a fait une photo-souvenir de moi en stérile, avec seulement les yeux qui dépassent, et quand j'ai retrouvé S. dans le couloir on riait comme jamais. Les chirurgiens ne devaient pas en revenir de voir ces deux filles sourire autant et même esquisser une petite danse dans le vestiaire, ces deux filles enveloppées d'un manteau bien terne et renfermées pendant les quatre mois passés avec eux si joyeuses à l'idée de leur dire au revoir. Juste avant de passer la porte pour retrouver le grand air un interne m'a dit que vraiment, on allait leur manquer, quand même. Juste pour voir, pour être sure que je ne les sous estimais pas, je lui ai demandé s'il savait comment je m'appelait. Eh bien non, je ne les sous estimais pas. Vingt deux semaines à se voir presque tous les jours et il ne connaissait pas encore mon prénom. Allez, bon vent !

J'ai fait contre mon gré des incursions de l'autre côté de la relation soignant-soigné et ça me terrorise. Je découvre les mots que parfois les docteurs lancent comme des bombes qui éclatent juste au fond de la gorge, font remonter la boule noire d'angoisse et déposent des larmes au coin des yeux.
Alors comme toujours lorsque j'ai peur j'essaie de maîtriser en vain les choses maîtrisables. Il faut que tout soit droit carré et bien rangé sur mon bureau, je me réfugie dans le grand lit blanc pour imaginer en détails combien de pages par jour je vais devoir apprendre pendant combien de jours et combien de semaines avant les partiels avant le concours avant la fin, je compte et recompte les matières les feuilles les heures les arrêts de métro, et je sais bien que tout ça n'est pas normal, mais si ça me permet d'empêcher cette angoisse d'engloutir tout mon cerveau alors tant pis. 
Je suis entrée en cinquième année officiellement il y a quelques jours, et j'essaie tant bien que mal de continuer mon chemin sans (trop) vaciller. Au nouveau stage il fait chaud et moite et mes mains tiennent des tout petits doigts, massent des tout petits pieds, écoutent des trop petits cœurs battre. Je bois des litres de chocolat chaud à l'amande quand mes cours se brouillent devant mes yeux et j'imagine des week end loin, à deux. 


lundi 16 septembre 2013

Paris est si petit quand on le regagne à la nage

J'y pense de plus en plus souvent à ce lointain pas si loin où j'aimerais poser mes valises dans deux ans, ce là bas qui accueillerait les balbutiements de ma vie de grande, mon premier logement toute seule en même temps que le commencement de mon presque métier. J'imagine mon appartement, les peintures blanches et le parquet de bois foncé, le mur confetti et les dizaines de coussins sur le canapé, le siège en rotin et les boutons de porte en faïence, avec des fleurs. J'aime toujours autant Paris et je crois que je l'aimerai toujours à la folie, mais l'idée des dunes de sable le samedi et des ballades sur les quais fleuris le dimanche ont eu raison de moi. A chaque nouvelle rencontre je savoure le moment où je peux prononcer mon voeu - espoir - pour l'internat, ce projet un peu fou qui me porte pour encore deux ans dans les couloirs des services où j'ai du mal à trouver ma place. A ma dernière garde les quelques minutes dans un box de pédiatrie ont fait battre mon coeur plus vite. L'impression que tout s'éclaire quand je dois rassurer un enfant sous les yeux du parent qui me fait confiance, parce que ce sont eux les seuls qui me font confiance, et son sourire quand il sait que ça ira, ça ira. 
En ce moment le monde semble piquer un peu plus que d'habitude. La fatigue du nouveau rythme à prendre, mon corps qui une nouvelle fois somatise mes angoisses, mais à un niveau un peu plus élevé - et ça fait mal, les trop rares soirées où je peux m'asseoir sur le canapé dans ses bras pour souffler un peu, et où finalement je m'endors sans un mot à vingt-deux heures, lui me murmurant "je suis là, je suis là".

mercredi 21 août 2013

Des méandres au creux des reins, et tout ira bien

J'ai l'impression qu'il faudrait attaquer mon cerveau à coups de pic à glace pour enlever tout ce qui le gèle depuis quelques semaines. Ou de marteau-ciseau d'orthopédie, tiens, pour boucler la boucle. Je n'arrive plus à écrire, je ne pense plus beaucoup non plus et oh, ce que j'aimerais passer ma journée allongée sur ma fouta corail au soleil, à fermer les yeux. Plus que quinze, quatorze, treize matins à prendre la grande allée du chateau pour me donner l'impression de profiter du jour avant d'aller dans les sous sol de l'hôpital. Je ne souffre plus tant que ça au bloc, j'éprouve seulement une immense lassitude et ne peux m'empêcher de compter les minutes qui me séparent du moment où j'enlèverai les deux masques, les heures avant la sortie au grand air, les semaines avant le nouveau stage qui me rapprochera de nouveau de la médecine. 
Le soleil du lubéron a réchauffé mon esprit qui tournait au ralenti ces dernière semaines et j'ai l'impression de me retrouver un peu lorsque je me balance dans le hamac entre deux cerisiers, une voix de petite fille blonde résonnant à l'autre bout du grand jardin entouré de vignes. Très bientôt retourner voir la mer, pour finir de délier mes membres, étirer mon cou et relever enfin le visage après des semaines tête baissée. 
Un soir que les deux années à venir, tant redoutées, semblaient soudain si proches, j'ai senti au creux du ventre comme un frisson. L'exitation à l'idée de pouvoir de nouveau être un peu fière de moi parce que je sais que quand je travaille vraiment, je le fais à fond. Réaliser que je ne me sens finalement bien que lorsque je sors la tête de mes bouquins après des heures à apprendre, apprendre, apprendre, parce que c'est ce que je sais faire de mieux et que je n'en peux plus de me trainer, là. Voilà, j'ai vingt deux ans et pas d'autre raison d'être fière de moi que ma capacité à être un bourreau de travail quand il le faut. 
En attendant de me plonger à nouveau dans le tourbillon des conférences, concours blancs et autres partiels il me reste un mois d'été à boire du rosé en regardant les vagues. 







mardi 23 juillet 2013

Suis toujours l'horizon

Même si je me suis empêchée d'y penser, que j'ai repoussé l'idée au plus profond, que chaque jour le décompte commençait par il me reste encore au lieu d'il n'y a plus que, il a bien fallu retrouver la réalité un matin. Sept heures cinquante neuf, aéroport de Roissy Charles de Gaulle. L'enfant brailleur assis à côté de moi avait enfin fermé les yeux, l'avion s'est posé sur le train d'atterrissage et une seule larme a coulé sur ma joue [un jour je comprendrai pourquoi il n'y a que mon oeil gauche qui pleure]. J'ai repris le métro parisien, j'ai coupé mes bracelets et gratté gratté gratté le vernis à paillettes. Le sacàstage avec ma blouse propre et repassée a remplacé ma valise sur mon pouf et je me suis enfin résolue à lire le planning des blocs. A l'aéroport de Cancùn j'avais marché seule des kilomètres pour trouver le terminal et à chacun de mes pas mon ventre se tordait comme pour me signifier que lui non plus ne voulait pas rentrer. Ce n'est pas tant partir de là qui me retournait les tripes, c'était y retourner. J'aurais pu rester des jours en transit dans cet aéroport de l'autre bout du monde, coincée entre une petite fille mi chinoise mi allemande qui commentait à voix haute ses dessins et ce vieil américain qui puait la frite, tout tout tout pour ne pas retrouver les matins qui piquent à me lever pour aller à ce bloc glacial. Y retourner, ça veut dire remonter dans le train du quotidien duquel presque rien ne dépasse. Répondre aux amis qui me proposent de partir une semaine avec eux là tout de suite que je ne peux pas, je travaille. La plupart sont déjà des grands avec un vrai métier et pourtant c'est moi, l'éternelle étudiante, qui n'a pas de vacances d'été. C'est étrange de se dire qu'on travaille quand en fait on commence juste à apprendre les choses et que le moment où on sera pour de vrai dans la vie active [il est moche ce mot, je suis déjà active là, non ?] semble un horizon très (très) lointain. Parfois je réalise que je vais passer chacun des prochains jours de mon existence dans des hôpitaux, et je suis prise d'un vertige. Oui je l'ai choisie cette blouse blanche, pour tout un tas de raison qui font que je n'aurais rien pu faire d'autre et que je voulais ne faire absolument que ça. Oui mais, oui mais j'aimerais avoir le droit à plusieurs vies. J'aurais adoré avoir une patisserie-salon de thé-librairie pour passer ma journée entourée de ce qui réconforte, ne pas faire d'études si longues, avoir plein d'enfants avant trente ans, ne jamais connaitre l'horreur de certaines douleurs qu'on ne croise qu'à l'hôpital, qui nous tombent dessus un matin et ne nous lachent plus vraiment jamais. J'en ai des tas de ces rêves d'autres destins, certains complètement inavouables et d'autres pour lesquels je me fais croire qu'un jour, peut être... Si vous me croisez quand je serai grande, vous me le direz, hein, que quand j'avais sept ans je disais déjà à ma mère que quand je serai grande je soignerai les gens ? Vous me le direz que même si il y a des tonnes d'autres vies je l'ai toujours voulue celle là ? 

c'est beau, la mer sous l'orage

mardi 16 juillet 2013

À l'aéroport de Miami je lis un magazine où une chaman explique que la gratitude et l'émerveillement sont les meilleures voies vers le bonheur. L'émerveillement est ce que c'est me répéter toutes les cinq minutes jesuisàmiamijesuisàmiamijesuisamiami (et jevaisaumexiquejevaisaumexiquejevaisaumexique) et surtout effacer l'idée même qu'un jour pas si lointain ça sera derrière moi ? C'est la lumière toute particulière ce matin lorsqu'on nageait dans une mer verte transparente en ne voyant que la plage à perte de vue, son sable blanc et ses buildings. C'est me réveiller au milieu de la nuit au son de LA musique qui me renvoie douloureusement un an en arrière, puis tourner la tête et le voir endormi à côté de moi, à portée de coeur. C'est cette fille assise sur la rangée d'en face dans la salle d'embarquement qui a les yeux brillants d'émotion en parlant dans son iPhone rose et le sourire qui me monte aux joues. C'est les pancakes arrosés de vrai sirop d'erable face à la mer, c'est le SMS de ma mère qui dit "Profite, et c'est pas moi qui le dit", c'est mon ventre qui se gonfle d'émotion quand je réalise l'heureux chemin dans lequel je marche en ce moment. 
Au moment où le deuxième avion allait décoller il a glissé sa main dans la mienne. Allez viens, on s'envole. 



vendredi 28 juin 2013

Un sourire sous le ciel défait

Cette nuit là vers deux heures du matin je me suis entendue dire à une patiente "il ne faut pas venir dans cet hôpital pour les urgences traumato", et tout de suite, pouf, un coup dans le bide. En vrai, non, il ne faut surtout pas venir dans cet hôpital là. Les chefs des urgences ne vont pas voir les patients et ce sont les externes qui doivent faire les transmissions ordres-du-chef vers patient-paumé-qui-attend-son-diagnostic, rares sont les médecins qui sortent de leur lit pour regarder les radios autrement que sur l'écran de leur téléphone et un patient en box de déchocage peut y rester trois heures sans que personne ne s'inquiète de savoir si il a été vu. Mais voilà, est ce que j'ai le droit de dire ça à un patient, de juger des gens bien plus avancés que moi en médecine, de m'exclure de cette hiérarchie bien huilée où jamais, au grand jamais, on n'ose aller contre son chef ? Je ne sais pas ce qui est bien, mais je n'ai plus envie d'accepter ces petites maltraitances. Avec A. on se demandait où était notre place pendant la visite du matin, celle où on entre dans les chambres à huit ou neuf pour décoller le pansement d'une cicatrice et dire trois mots au patient. Je crois que toutes les deux on l'a choisie, bon gré mal gré, et tant pis pour ce que certains chefs en pensent. Notre place c'est remettre la couverture sur les jambes de celui qui a froid, c'est repousser la porte de la salle de bain pour laisser le voisin faire sa toilette, c'est remettre la table du petit déjeuner et sortir en dernier derrière le balais des médecins.

J'expérimente un nouveau stade de fatigue chronique, il faut croire que les neuf mois d'externat commencent à peser sur mon dos. Je n'entends désormais plus mon réveil, moi qui bondissait hors du lit, je suis allée dans le mauvais service un matin, marchant machinalement sans regarder où mes pas me portaient et je me suis endormie au bloc, debout, les deux écarteurs bien serrés entre mes mains. Pouf, ma tête qui tombe sur ma poitrine, et aussitôt la relever, soudain très réveillée, de peur que quelqu'un m'ait vue. Mais j'ai trop besoin de ces moments en tête à tête avec un livre [je me suis remise à lire, incroyable] ou une série [et ne parlons pas des choix de séries] pour me coucher tôt. Hier soir j'ai même poussé jusqu'à aller à un restaurant où on mange en plein Paris au milieu des oliviers et du chant des grillons. Celle qui m'accompagnait m'a dit "et à part médecine, c'est quoi tes projets ?" et, évidemment, je n'ai pas pu répondre, alors ce n'est vraiment pas maintenant que je vais me remettre à dormir parce que j'en veux, des projets. Là tout de suite, ils se résument à m'octroyer quatre jours de vacances sans ouvrir un livre avec des radios où je ne vois rien, sans planning de garde à compléter, sans réveil. & ça va être b-i-e-n.



mardi 18 juin 2013

Ce week end, alors qu'on mangeait une pizza avec A. face aux falaises d'Etretat en attendant ses amis de longue date, j'ai réalisé le bonheur que l'on a de retrouver ceux qu'on aime. De pouvoir serrer dans ses bras les personnes que l'on chérit. Et, comme à chaque fois que je pense à ceux qui me manquent, ma grand mère et tous les souvenirs d'enfance qui l'accompagnent ont resurgit. Quand j'étais en troisième un soir ma mère m'a annoncé le visage rouge de larmes que sa maman était morte, pour de vrai, alors qu'à peine un mois avant on fêtait noël tous ensemble et que je découvrais dans un coin les petits paquets qu'elle avait emballés en plus en secret pour nous faire encore plus plaisir. Je n'ai pas pleuré ce soir là ni le jour de l'enterrement où j'ai lu le texte écrit en son hommage dans l'église glaciale, ni le jour suivant où il a fallu retourner au collège et expliquer la raison de mon absence, ni celui d'après. Mais j'ai arrêté de manger la moitié des choses que j'adorais jusque là du jour au lendemain et je crois que c'est là que la première fêlure s'est faite, là profond dans mon coeur. Elle venait me chercher le mercredi au collège et je la guettais de la fenêtre de la classe. Souvent je mettais l'écharpe multicolore qu'elle m'avait tricotée, pour lui faire plaisir. Quand je dinais chez elle c'était toujours soupeàlacourgette-coquillettes-glace et ensuite un pot (entier) de crème de marron dégusté à la cuillère devant des épisodes de Charlot ou Tintin. Elle était une constante dans ma vie, la moins malade de mes quatre grands parents, celle qui ne s'écoutait pas et ne voulait jamais embêter les autres avec ses propres souffrances, et comme elle l'espérait personne ne s'est rendu compte qu'elle allait mal jusqu'au jour où. Elle n'aurait pas dû, comme si il y avait une logique, être la première à disparaitre de ma vie. Et ça fait mal de découvrir à quatorze ans que la logique s'en fout des gens qu'on aime. Quand ma mère va voir la dame avec qui elle discute je sais qu'elles parlent de cette transmission que lui a fait ma grand mère, quand j'allais voir la dame sans divan elle m'a tout de suite demandé quel métier elle exercait, et je sais, oh oui je le vois chaque jour, qu'elle imprègne mes actions, qu'elle me suit à chaque pas que je fais. Quand tout ce qui pourrait me réconforter ce sont des compotes pomme-chataigne, quand l'odeur de la lavande fait s'emballer les ascenceurs dans mon ventre, quand j'ai versé une larme salée dans la toute première soupeàlacourgette que j'ai eu plaisir à remanger depuis elle, il y a deux étés, quand je dis oui à tout le monde alors que ma tête me hurle de répondre non, quand je suis beaucoup trop exigeante avec moi même, et quand je pense aux gens que j'aime. A chaque fois. 


lundi 10 juin 2013

Être celle armée de joie

Le réveil à cinqheuresquarantecinq est toujours une torture. J'ouvre les rideaux et il fait à peine jour, jour bleu-pâle depuis peu et ça me donne la force de sortir de mon lit après les nuits entrecoupées de réveils à cause de cette boulauventre de stress. Ce stress qui s'insinue entre mes pores, qui s'évacue dans mes larmes et laisse des traces rouges sur ma peau, juste là sous mon collier nuage. Je n'ai pas peur mais je stress, pour rien et surtout pour tout, est ce que c'est possible ? Je dois l'avouer, le stage que je redoutais tant s'avère n'être finalement pas si pire. Il faut croire que cela tient vraiment aux internes parce que mes copines m'en avaient parlé comme d'un enfer. Il suffit d'un bonjour, d'une porte tenue, d'yeux qui me sourient au bloc entre le masque et la charlotte pour m'encourager quand je fais des points mal assurés. En consultation un monsieur me glisse entre deux radios "et gardez votre sourire, mademoiselle" après m'avoir fait rire à parler du schnaps turque qu'il veut absolument faire goûter au médecin qui l'a opéré et lui a rendu un genou qui se replie et redéplie à son bon vouloir. Je souris parce que j'aime les histoires de gens. La raison de leur venue aux urgences qui cache une tout autre inquiétude, les petites anecdotes qu'ils glissent entre deux motifs de consultation, les quelques phrases prononcées sur le pas de la porte juste avant de partir, les histoires de famille, les histoires de régions, les confidences partagées. Souvent quand je déjeune avec des gens qui ne sont pas externes ils me demandent de raconter les patients et je crois que je pourrais en parler des heures [sans briser le secret médical, évidemment]. J'ai une tendresse infinie pour ces parenthèses de vie que j'ai l'occasion de partager, juste un instant.

Alors que deux jours sans stage s'annoncaient j'ai eu envie d'aller embrasser mon filleul. J'ai demandé son avis mon père qui m'a dit que c'était une petite folie mais qu'après tout pourquoi pas, j'ai appelé A. pour l'entendre prononcer qu'il pensait que j'en étais capable, j'ai écarquillé les yeux quelques minutes devant mappy qui faisait défiler les centaines de kilomètres que j'allais devoir conduire toute seule, j'ai mis des livres dans mon sac et je suis partie. Le GPS m'a fait éviter l'autoroute et doubler mon temps de trajet et alors que je traversais des petites routes de campagne bordées de champs de coquelicots et de colza, la radio volume vingt pour me tenir éveillée, je me suis dit que je touchais du doigt la pleine satisfaction. Les chansons qui passaient faisaient écho à mes années lycées, le soleil me forçait à plisser les yeux à travers les lunettes, j'allais pouvoir entendre mon filleul dire ses premiers mots. Il restait trois heures de route alors que j'aurais du en mettre deux en tout, oui, et alors, est ce qu'on compte ses heures pour arriver au bonheur ?


& merci, merci, merci pour tous vos petits mots sur l'article précédent. Je n'ose pas répondre que je suis touchée à chaque fois, ça ferait un peu niaise hein ?, mais à toutes, merci. 

vendredi 31 mai 2013

Même au siècle prochain j'en parlerai encore

Mai. Ce mois en pointillé, découpé entre les deux stages [celui où on voudrait rester, celui où on voudrait ne pas trop mettre les pieds]. Ce mois qui teste notre résistance en nous envoyant des litres de pluie sur le visage, des gouttes qui font friser les cheveux et rougir les joues quand je cours le matin pour ne pas arriver en retard au staff. La pluie, toujours, quand je sors de ces heures de bloc passées debout à lutter contre moi même pour ne pas demander à sortir tant j'ai mal au dos, qui me donne l'impression que rien n'a bougé depuis tout à l'heure et que c'est bon, allez, on peut commencer la journée. Mai et les kilomètres passés dans ma voiture, moitié fierté de cette liberté nouvelle, Vanessa Paradis à fond et fenêtres ouvertes, moitié à pousser des hurlements à chaque difficulté.
Juin et le week end à Etretat qui approche à grands pas, les idées folles de ces villes nordiques si jolies en photo qu'on aimerait aller voir en vrai et en amoureux. 
Septembre. Septembre dernier dont je parle comme si c'était hier, il y a quelques semaines ou au plus deux ou trois mois. Je n'arrive pas à croire qu'on a déjà fait le tour du cadran depuis ces journées ensoleillées à profiter, trainer, flâner. Il y a presque un an je me découvrais, j'apprenais à me considérer comme une vraie personne de qui il faut s'occuper, de qui il faut prendre soin, et pas seulement comme une enveloppe corporelle qu'on ballade au grès des vents. Septembre, mon an zéro. 
Il y a presque un an aussi j'écrivais le premier article sur ce blog, un soir pluvieux de juin, pour déverser en mots cette énergie que je sentais renaître au creux de mon ventre. Je n'aurais pas cru que des gens me liraient depuis, resteraient dans ces pages. Si vous me laissiez un tout petit mot pour l'occasion juste pour dire que vous êtes passés par là j'avoue que ça me réchaufferait les matins de pluie. Alors...

mardi 14 mai 2013

Au départ au départ c'est toujours le mois de mai

Le bruit de mes ballerines et celui des talons de ma mère sur les pavés d'un trottoir parisien. On va être en retard au concert d'Alex Beaupain parce qu'on est allées boire des bières au lieu de se faufiler dans la queue mais on rigole comme deux copines en courant entre les passants. Elle blague avec le monsieur qui vérifie les billets et je la trouve à l'aise, plus détendue que ce qu'elle montre habituellement. En cherchant notre place dans la salle on se demande si sa blogueuse préférée pourrait être là, et elle y est (!), deux rangs devant le notre. Son sourire quand elle revient s'asseoir près de moi après être allée lui parler, et l'instant où je perçois des paillettes dans ses yeux sont précieux, très. Pendant l'entracte on parle des choses qui nous font peur et je réalise que moi qui d'habitude ne répond que "des-guèpes-et-des-chiens" j'ai plein, plein plein, de peurs. La plupart comment par le prénom d'un garçon et je voudrais les effacer d'un coup de chiffon, quand même, se tordre le ventre et se fendre la tête avec ces interrogations, quand même, ça serait plus simple sans. Guéris toi vite de tes peur, ne deviens pas comme moi malade d'angoisse, elle me dit. 

Dans le bus qui rentrait d'Amsterdam, mon casque blanc sur les oreilles et les yeux rivés sur les immenses champs jaunes qui brillaient sous la pluie, je pense à ce drôle d'âge qui est le mien. On me l'a demandé deux fois durant le week end et j'ai répondu vingt ans, les deux fois. Je suis bloquée là bas, je crois que les chiffres qui s'ajoutent me semblent trop grands. Le syndrôme de Peter Pan, j'ai toujours aimé cette expression, certains jours peut être, et pourtant j'ai l'impression d'avoir plus grandi en un an qu'en toutes les années dont je me souviens (il faut dire que j'ai tendance à oublier les années passées, les souvenirs heureux s'effacent plus vite et c'est souvent mon amie L. qui doit me les raconter à nouveau, en pestant un peu). Je ne sais plus combien j'ai d'hivers derrière moi, mais pour la première fois je crois je n'ai pas peur des prochains. Quand on me demande ce que je veux faire quand je serai grande je connais ma réponse et je n'écoute pas ceux qui disent que c'est difficile/pas pour une fille/incompatible avec une famille. Je verrai bien et ça ira, hein ? 

J'attends patiemment les rayons de soleil, je profite de ces semaines étranges où je ne suis pas submergée par les cours à ingurgiter (je veux dire, j'ai des cours à ingurgiter, mais les excuses pour ne pas le faire gagnent en ce moment), je cuisine des gateaux à la banane et des mousses au chocolat, je vais nager et je redécouvre le plaisir de sentir que mes muscles ont travaillé, je laisse couler les jours entre mes doigts, juste un peu, le temps de profiter. 


dimanche 5 mai 2013

Un pantalon vert en papier taille M, un haut vert en papier taille S, mes indispensables bas de contention tout sauf sexys, un débardeur caché sous le tout pour ne pas trop grelotter, les crocs oranges taille 42 puisqu'il ne restait qu'elles, une charlotte verte qui étouffe mon chignon, un masque bleu attaché pas trop serré pour ne pas étouffer, ajusté sur le nez pour ne pas le perdre quand je baille. Quand s'ouvre la porte coulissante, après les mains décapées par le savon et la brosse et les deux passages de gel hydroalcoolique, une casaque taille M bleue, je fais attention à ne rien toucher, une première paire de gants taille six-et-demi-silvouplait-merci, le noeud de la casaque stérile et la deuxième paire de gants.   
Je me faufile à ma place près de l'interne, on m'amène une petite estrade sur laquelle je me hisse, la tête dévissée pour essayer d'aperçevoir quelque chose. Les mains entre le nombril et les seins, pas en dessous ça désterilise, pas au dessus ça désterilise, il ne faut surtout rien attraper, laisser tomber ce qui glisse, ne pas frôler de trop près les anesthésistes ou les panseuses. 
"Mais elle s'endort l'externe ?". Non je ne m'endormirai pas, je vais tenir je vais tenir je vais tenir, je suis à côté de vous qui ne me parlez pas et je pense, je réfléchis, j'imagine des choses. Je ne peux pas vous poser de question parce que je ne saurais même pas quoi demander, je ne comprends absolument rien, je ne sais même pas où on est dans le ventre du patient je ne sais pas pourquoi il est sur cette table même si j'ai vu le titre de l'opération. Quand je suis entrée il était endormi, quand je sortirai il ne sera pas réveillé, je n'entendrai jamais sa voix et ne retiendrai pas son visage. 
Quand l'horloge transforme les secondes en heures interminables et que le seul bruit du bistouri électrique ne suffit plus à maintenir ma tête dans la pièce je descends de l'estrade et vais relire le dossier, et je cherche les analyses psy, les évaluations des aidants, les interrogatoires de la famille, le consentement éclairé du donneur qui explique toutes les raisons qui l'ont poussé à donner un bout de ses organes pour garder en vie près de lui celui que le chirurgien découpe. Tout ce qui peut rendre un peu d'humanité au corp ouvert et plein de sang, pour retrouver des histoires, pas seulement des organes. 
Je comprends qu'on puisse aimer ça, ouvrir-découper-brûler-recoudre, agir directement sur le patient, être minutieux et prendre le temps, mais moi j'ai besoin de parler, de créer un contact avec les gens et d'échanger ; je m'en fous de leurs viscères, je veux voir leur visage. ça me fait me sentir vivante de me dépècher aux urgences et je déteste plus que tout attendre quarante minutes entre deux blocs parce qu'on doit sortir le premier patient-laver-stériliser-rentrer le second patient-l'endormir. Je veux retourner en consultations, je veux voir des émotions, je veux essayer de rassurer (ou appeler le chef pour rassurer, soyons honnêtes), je veux me faire engueuler parce qu'on prend le temps d'expliquer, je veux voir des patients repartir soulagés, je veux pouvoir p-a-r-l-e-r. [plus que cinq mois] 



samedi 27 avril 2013

Après moi le déluge, après moi la pluie

Je bois des litres de tisane organic detox, celle qui a la jolie boite avec des nuages prunes, envoyée par Elise. J'ai allumé ma bougie préférée, accroché mes nouvelles cartes postales dessinées par Sofia, et je découvre Alex Beaupain sur les conseils de Anne. Le samedi après midi les révisions sont toujours difficiles et mes envies de cocooning sous la couette [puisque finalement le cocooning au soleil dans les parcs n'est pas pour tout de suite] prennent le dessus. Je fais des plans sur la comète pour cet été et je remplis mon carnet d'envies (Bruxelles - Barcelone - Londres). Jeudi soir, alors qu'on était allongés sur le petit lit à trouver toutes les raisons du monde pour ne pas aller réviser il m'a dit qu'il voulait que je vienne en vacances avec eux, moi aussi, à l'autre bout de la terre. Alors forcément ça me donne le tournis, forcément j'en meurs d'envie et forcément je ne peux pas m'empêcher de penser "et si...", mais j'ai dit oui. J'ai dit oui aussi quand la dame du permis m'a appelée pour me demander si je voulais le passer dans 48h, alors que normalement il me restait deux mois de préparation, et j'ai bien fait puisque j'ai maintenant le droit de nous emmener en week end à la mer quand je veux - alors il va y en avoir, prochainement, des crèpes sucre-citron. Il y aura aussi un week end au Luxembourg pour le mariage de la grande soeur de L. et ça me fait tout bizarre de me dire qu'elle a une maison, un mari (un m-a-r-i !), et seulement trois ans de plus que nous, alors il y aura aussi la robe à acheter et il y aura les confettis, le champagne et surement les yeux mouillés de L. au milieu des sourires. C'est un bel été qui se prépare en parallèle des blocs dans lesquels je serai enfermée tous les matins et de la chirurgie de bourrin à laquelle je voudrais tant ne pas assister. Un très bel été. 

les cartes de Sofia sont ici

samedi 20 avril 2013

Fermez la parenthèse

C'était un dimanche de mai 2012, un matin ensoleillé où le petit déjeuner avait été pris les pieds nus dans les paquerettes de son jardin. La soirée de la veille s'était terminée dans les larmes, celles qui ne s'arrêtent plus et se rappellent en hoquets jusqu'à tard dans la nuit, mais ce matin là on avait fait comme si de rien n'était, pour de faux. Je me rappelle de la chaleur, de ma robe à fleurs (évidemment) que j'ai ensuite cachée au fond de mon placard pendant des semaines, du dîner pâtes-tomates cerises-légumes du soleil. Le soir mon petit monde déjà bien brinquebalant s'écroulait, et même si ce n'est tellement rien par rapport à d'autres chagrins d'amour, celui là m'avait semblé insurmontable, même si... Dimanche dernier, avril 2013, j'ai à nouveau enlevé mes ballerines dans ce même jardin et laissé mes pieds se faire chatouiller par les mauvaises herbes. 


Double incidence #2

(un autre texte écrit il y a 2 ans. Je crois que j'ai besoin de laisser une trace de la P1 par ici, ces deux années qui m'ont tellement changée)

Il est 6h43, j’arrive devant la fac. Cette fois ci Elle n’est pas là, j’ai réussi à arriver avant. Je savoure ma petite victoire, on se réjouit de peu en P1. Il doit faire 2°, j’ai froid, même avec mes gros pulls de plouc superposés. Je me colle à la porte. Celle de gauche, toujours, j’ai repéré que c’était celle là qui ouvrait le plus souvent en premier, quelques secondes avant l’autre. Du coup Elle sera obligée de se mettre à celle de droite, bien fait.

Elle arrive, on ne se parle pas. Deux filles face l’une à l’autre dans le froid et la nuit, chacune accrochée à sa porte, guettant les nouveaux arrivants.

On est de plus en plus. J’ai dû coincer mon bras dans la poignée pour être sure de ne pas être poussée. Une fois j’ai fait un malaise, du coup maintenant j’amène des compotes, en cas de coup de barre. Heureusement que la porte n’avait pas ouvert quand j’étais par terre la fois du malaise, sinon j’étais écrasée. Je connais une fille qui s’est faite piétiner par son meilleur ami, elle ne pouvait plus marcher, mais au moins il lui avait gardé une place.

Serrée, écrasée, compressée, et la lumière s’allume dans le couloir. Les appariteurs vont arriver. Je sens les msucles de mes jambes se tendre. Je n’ai aucune force, des cernes de 3km, mais je sais que le moment où je vais faire mon sport de la semaine se prépare.

On guette le son des clés, les pas, l’ombre d’un des deux types qui chaque matin se prend une horde d’étudiants fous dans la face, et qui répète mollement à chaque fois « calmez vous, doucement, youhou, doooouuuucement ».

Et il arrive. Il se place à mi chemin entre les portes, laquelle ouvrir en premier, gauche, droite ? Une fois de plus j’ai bien choisi, c’est la gauche, pif paf dans ta face, on se réjouit de peu en P1. Il rentre la clé dans la serrure, l’adrénaline monte, je m’agrippe à la porte, je mets toute mes forces pour ne pas me retrouver du mauvais côté de la vitre, puisque les portes s’ouvrent vers l’extérieur, je pousse, je bouscule, et je rentre. Je cours, avec mes deux sacs qui me battent les jambes et mon endurance de mamie octagénaire, je cours et je monte les escaliers en manquant de tomber. J’arrive tout en haut de l’amphi, je lance mon écharpe, mon sac, mon ordinateur, pour avoir les 3 places à côté de la prise.

J’ai réussi, je m’éffondre. J’ai mes places, il est 7h30. Les filles arriveront pour 8h. Demain je dormirai, ce n’est pas à moi de prendre les places, et mercredi prochain, je serai là à 6h43.

La journée peut commencer.

mercredi 3 avril 2013

Dear you, sweet sixteen

A toi,
**
à toi que j'ai été il n'y a pas si longtemps et à qui je repense avec une pointe de tendresse - bien que je ne regrette pas une seule seconde ton époque. A vous, mes seize ans et mes espoirs déçus de l'époque. 
Ce n'était pas facile, hein, d'abandonner tout ton univers pour débarquer dans ce grand lycée sans tes copines, sans ton groupe rassurant avec qui tu refaisais le monde. Tu te rappelles le premier cours, cette présentation où tu avais retenu tes larmes de justesse en griffonant les slogans qui habitaient tes journées sur ton agenda décoré avec amour pendant l'été ? Tu te souviens du banc où tu retrouvais le seul garçon vestige de ton collège à la récréation, ce même banc où tu t'étais battue avec un crétin qui vous avait insultés ? Tu te souviens de ton horreur pour les maths et de ce professeur chauve qui t'avais transmis son amour pour la physique ? Tu te souviens de ta place sur le plan de classe, entre O. lafillelaplusbelledumonde que tu admirais et P. le garçon que tu observais de loin ? 

Un jour tu avais embrassé ton amoureux, ce mec qui connaissait tout de toi et que les autres appelaient "Nirvana" - époque rock and roll oblige - et quelques secondes après tu avais eu cette pulsion qui  te pousse à tout détruire et tu lui avais dit que c'en était fini, de votre drôle d'histoire. C'est peut être là finalement que tu avais commencé à avoir ces disputes avec ton propre esprit, ces moments où tu places ta vie sur un fil, où tout peut basculer d'une seconde à l'autre. Je crois qu'avec du recul, tu n'allais pas très bien, vraiment pas très bien. Un soir où soudain tu avais réalisé l'ampleur de cette tristesse enfermée, où ton corps te semblait dégoutant et où tu aurais voulu être plus forte, encore plus forte, toujours plus forte, tu avais trouvé une manière de te défouler. Tu avais appris à cacher les cicatrices sous tes tonnes de bracelets brésiliens et à trouver des explications complètement farfelues mais qui satisfaisaient ceux qui les appercevaient. 

Mais toi, tu le sais, il y avait aussi un tas de rêves qui t'habitaient. Tu voulais devenir cardiologue, tu trouvais ça joli comme image réparer les coeurs des gens et pourtant tu préfèrais t'imaginer sur une Vespa, keffieh au vent, allant à la Sorbonne (dont tu ne connaissais que le nom, d'ailleurs) que dans un bloc opératoire. Tu avais découvert la Corse et ta passion pour cette île m'est restée, aujourd'hui encore quand je n'arrive pas à m'endormir je me rappelle cette plage. Tu voulais être grande et faire cequejeveux, tu te sentais tellement libre quand tu allais sur la mobylette (sans casque, pfff) de cette fille et que vous séchiez les cours... Tu te souviens que tu ne voulais pas boire une seule goutte d'alcool et que tu détestais la nourriture japonaise [ha-ha] ? Tu noirçissait déjà des pages de mots, par contre. C'était ton carnet intime qui avait le droit de recueillir tes milliards de listes, tes lettres à ton amoureux perdu, le récit de tes vacances en colonies - ces moments de bonheur intense.
Tu ne savais pas ce que tu allais devoir traverser bientôt, bien tôt, bien trop tôt. On n'en parlera pas, hein. Mais tu as réussi, et je suis là aujourd'hui.

ps : tu sais, ta liste des chosesàfaireavantdemourir, je les ai tous faits, même ceux pas encore cochés à l'époque (claquer quelqu'un qui m'énerve, me trouver mince, aller en boîte, me dire que je suis heureuse) & surtout, j'en ai rajouté plein plein plein.
pps : quand tu écrivais La vie est belle sans trop y croire sur ton Eastpack noir couvert de pins, tu avais raison. Oui elle est belle, si tu savais


Seize ans, Corse 
inspiré de cet article 

samedi 30 mars 2013

Quelle aventure, quelle aventure

Il est sept heures et  le réveil sonne sans que j'ai eu l'impression de dormir une minute. Peu importe le ciel gris, peu importe le froid la bruime le tram bondé, dans mon casque je révise La Superbe.
Il est neuf heures trente et il m'en reste trois avant de pouvoir m'enfuir de cette salle glacée. Au bloc j'ai appris à attendre. La patience qu'on découvre en laissant s'égrainer les minutes les unes après les autres, les yeux rivés sur l'horloge murale. Alors je pense, j'imagine, j'organise, j'invente. Je pense à Elise près de qui j'aimerais être pour rendre une autre attente bien moins longue, j'imagine tout ce que je ferai un jour bientôt j'espère, Barcelone, des crèpes au miel, une déclaration, j'organise mon travail en sachant qu'en rentrant chez moi je n'aurai qu'une envie [dormir] et que donc le planning [d'hépatogastro] passera à la trape, j'invente des plats dans les moindres détails pour ne pas m'endormir. 
Il est midi trente et j'arrache le masque qui m'étouffe, laisse mes cheveux sortir de cette casaque verte trop serrée. Pour la minute gourdasse je mets mon vernis-confetti dans le vestaire - je n'allais quand même pas aller à un concert les ongles transparents ! Je retrouve mes copines qui parlent des partiels avec angoisse, et je crois que je suis un peu à l'écart avec mes idées de voyages, ballades à Paris & retrouvailles. Depuis mai je n'ai plus peur devant mes copies, depuis mai je ne me laisse plus abattre par la petite voix qui dit tuvastoutrater, depuis mai je ne marche plus, j'avance
Il est quinze heure et je m'engouffre dans le métro avec cette fille que je ne connais presque pas. Paris à travers ses yeux, les miens à la recherche de jolies choses à lui faire découvrir. On glousse devant Mollard, on fait une tonne de photos ratées, on a les jambes lourdes mais on enchaine les magasins, encore un, juste un dernier. Elle me laisse à la grande gare le sourire aux lèvres. 
Il est dix-neuf heures et je retrouve la fille qui m'a fait aimer Benjamin Biolay pour aller le voir, lui, en vrai. Depuis le temps qu'on en parle. Je me rends doucement compte que c'est pour de vrai, que c'est ce soir, et que c'est complètement fou-fou-fou. Au premier rang je crois que je croise son regard et elle me crie au milieu de la chanson "c'est bon, tu peux mourir tranquille !". Les frissons qui me parcourent même les jambes, ses yeux qui brillent et la boule au fond de la gorge qui explose à la dernière chanson, cette chanson. 
Il est vingt-trois heures trente et mes bottes claquent sur le trottoir. Dans le métro les regards s'égarent sur la feuille que je tiens fermement dans ma main - les deux seules filles de la salle à avoir eu la liste des titres - et j'ai envie de rire à gorge déployée pour laisser sortir tout ce bonheur. Je marche vite dans Paris glacial, le long des quais j'ignore les voitures qui ralentissent bien trop près de moi pour trouver enfin un taxi qui me ramène à la maison. En passant près de la tour Eiffel elle se met à scintiller. Sur la Seine, à travers les vitres du taxi, dans mes yeux, les paillettes. 

Il est minuit. 

mardi 19 mars 2013

Et là y'a un coeur dessiné au stylo bille

Je tire mes rideaux les yeux à peine ouverts et, enfin, un rayon de soleil. Alors on dirait que c'est l'été, et la radio qui parle de pluie sur toute la France aujourd'hui, je ne l'écoute pas. Je saute à pieds joints les dernières marches de l'escalier, j'enfile mon snoodàpetitespaillettes et j'essaye d'attraper le bus. J'aime bien être mélangée à ces gens qui partent travailler si tôt le matin, oui, si tôt beaucoup trop tôt, et je m'amuse à leur imaginer des vies - le grand monsieur qui fait éclater de rire le tout petit bébé et qui garde le sourire aux lèvres jusqu'à son arrêt, cette dame très chic et trop maigre que je croise souvent, le monsieur roux aux toutes petites lunettes est ce qu'il est marié ?, la fille qui s'est maquillée en deux temps trois mouvements en face de moi et que j'observais fascinée par sa dextérité. 
Dans la journée on me sourit, on me dit merci et je m'en étonne, et je m'étonne d'être étonnée. J'ai déjà laissé derrière moi quelques idéaux sur l'hôpital et je n'en attends plus autant des gens qui m'encadrent, je prends simplement ce qu'ils veulent bien me donner. A l'hôpital et dans la vie, d'ailleurs. J'aimerais tellement enlever cette idée qui revient si souvent, trop souvent, qu'on ne m'aime pas. Mais elle reste bien accrochée, au creux du coeur et me dicte ne t'accroche pas n'en demande pas trop tu vois elle ne t'aime plus et c'est normal arrête d'esperer une réponse ça ne viendra pas, plus. 
Quand le service se vide c'est le moment de raccrocher ma blouse au porte manteau et de retrouver mes baskets. J'aime rentrer chez moi et savoir qu'il sera là, je ne sais pas à quel moment mais après tout, est ce que c'est si important maintenant ? Il me propose un restaurant surprise et des massages illimités pour se faire pardonner, et je ne peux que lui sourire, évidemment, parce que je crois que je n'ai jamais réussi à lui en vouloir pour de vrai, à 10, jamais. On se serre, on se colle, et je crois qu'on avance l'un à côté de l'autre pour la première fois même si bien sur il y a quelques faux pas. J'aime rentrer et savoir que je vais me retrouver, aussi, et ça c'est nouveau. La tisane dans mon lit, les deux oreillers pour moi et le bain chaud, même si dans l'eau je ne peux m'empêcher de scruter les courbures et les arrondis que je voudrais gommer, estomper un peu. Alors je fais des comptes dans ma tête, ça mouline, et je finis toujours par oublier, jusqu'au prochain bain.

L'autre jour au lieu d'aller en consultation on a grimpé au sommet de l'hôpital depuis lequel on voyait tout Paris, La Défense-Montmartre-Tour Eiffel-Tour Montparnasse, il faisait beau et les toits étaient encore recouverts de neige, et je me suis dit que je ne m'en lasserai jamais, jamais. Tant que je me réjouirai à l'idée de prendre la ligne 6, tant que j'aurai le sourire aux oreilles quand la rame sort du tunnel et qu'on découvre la Seine, tant qu'aligner des pas sur les quais me gonfle le coeur, tant que je me sens bien, ici. 


lundi 11 mars 2013

Double incidence

Brune, pâle, cernée.
Elle a avalé 54 cachets ce matin. Elle y pensait depuis longtemps, des problèmes familiaux, l’impression d’être un boulet pour les autres, l’envie de ne plus souffrir.
Elle a 20 ans.
Je suis en face d’elle. C’est moi qui tiens son dossier médical où sont écris les lettes T.S..
Je suis en blouse blanche, elle se noie dans la chemise bleutée de l’hôpital.
Même âge, même taille.
Elle est vite partie en consultation psy, j’ai continué à lire d’autres dossiers.
Sans oublier la chance que j’ai d’être de l’autre côté.

***

Il nous parle de son courrier qui met trop de temps à arriver.
De sa fiancée, du beau temps.
On regarde ses pansements, vérifie ses constantes.
Lui explique le déroulement d’un prochain examen.
Elle soulève le drap pour vérifier ses escarres.
Sous le drap, il n’y a rien.
Pas de jambe.

Un instant de déconcentration, et puis on se raccroche à ses paroles. Plus de jambes, mais et alors ?

***

Elle a une pyélonéphrite. Elle se tord de douleur, seule dans son box des urgences, attendant son amoureux qui doit arriver dans l’après midi. Elle souffre mais elle reste polie, me souriant quand je passe devant elle, répondant à mes questions de mini P2 qui demande, interroge, ausculte, mais n’apporte aucune réponse.
Soudain, je l’entends pleurer. Pleurer sans s’arrêter, toutes les larmes de son corps.
Le chef de service, qui d’habitude ne sort jamais de son bureau, lui a rendu visite.
C’est de sa faute à elle si elle est malade lui a-t-il dit. Elle fait n’importe quoi avec son corps. Elle sera malade toute sa vie, et va mourir du sida, ou de l’hépatite C. Inconsciente, négligente, irresponsable. Tant pis pour elle.

Vraiment, quelle idée d’avoir une pyélonéphrite ET des tatouages.

***

28 ans,
Roux, très pale, de grands yeux marrons mouillés.
Alcoolique.
Un foie tellement gros que même moi, petite p2, je l’ai senti.
 "Vous devez encore rester à jeun monsieur, au cas où on doit vous faire des examens complémentaires."
 "Mais arrêtez de m’embêter avec vos examens ! Donnez moi un cachet qui répare le foie et je rentre chez moi guéri !"
Monsieur, c’est à dire que… ce n’est pas aussi simple.

***

Homme d’une quarantaine d’année, dépressif, alcoolique chronique, gonflé, rouge.
Il pleure.
4 grammes d’alcool dans le sang à 10h30 du matin.
Polonais, il ne comprend pas ce qu’on lui dit. On essaye de lui faire un ECG, il lève le poing. Agressif, il a peur, il est seul.
« Ça va aller monsieur »
Il me tend la main.

(portraits écrits il y a 2 ans, lors de mes premiers stages de p2
Drôle d'effet de relire ça... )


mercredi 27 février 2013

J'ai l'âme de l'enfant et la mémoire du vieux

Avant même d'être entrée dans le bloc je frissonne. Les murs de carrelage, la lumière étourdissante et mon image, sur l'écran de coelio, quand la caméra est posée sur le corps endormi de la patiente. Le masque est tiré jusque sous mes yeux, je respire mal dedans mais je peux rester moi derrière. Ma bouche bée quand le liquide amniotique chaud coule sur mes mains, mon ventre qui se gonfle d'étonnement quand le bébé sort les yeux ouverts, en nous regardant l'air de dire eh salut, je suis arrivé maintenant, tout va bien, les palpitations au coeur quand j'ai donné ma main à serrer à cette dame terrorisée par l'anesthésie parce que je sais que moi aussi j'en voudrais une de main chaude dans la mienne, les larmes qui ont un peu coulé, juste une fois je ne voulais pas leur donner cet honneur quand ça a été trop toutes ces humiliations.

Parce que oui, même si je le savais que ça serait dur et qu'on nous testerait, même si on est tout en bas de l'échelle, même si c'est la tradition, même si mais-voyons-c'est-pas-méchant il y a des choses que je n'aurais pas cru devoir accepter. Un matin ils m'accusent d'avoir gâché la vie d'une dame, et là ça déborde. Je me lève en 30 secondes quand on m'appelle à 4h30 du matin et que je me suis allongée pour la première fois depuis vingt heures de garde il y a quelques minutes, je ne réponds plus à mon prénom mais éternellement à "l'externe", je lance des tonnes de bonjour pour n'avoir aucune réponse, je ne dis rien quand une interne m'accuse de ses erreurs à elle devant une patiente, alors cette fois je ne me laisserai pas faire. Aujourd'hui quand ils nous ont demandé si ils nous avaient donné envie de faire leur métier, j'ai doucement rigolé. Je sais surtout comment je ne traiterai pas mes étudiants, les gars.

& puis ce matin, "Et surtout vivez une vie de femme enceinte, une vie paisible et douce", a dit le médecin à la dame qui rentrait aujourd'hui s'occuper de ses enfants et laissait derrière elle quelques jours d'hospitalisation. Et j'ai pensé, oh je crois que je vis une vie de femme enceinte. Je ne sais pas qui (ce que ?) je couve, mais je m'entoure de coton et d'une chaleur rassurante dès que je quitte l'hôpital, je me protège de tout, du moins j'essaie, je suis comme anesthésiée du piquant du dehors et je ne veux pas me laisser atteindre par le ciel qui reste désespérément gris. Au creux de ma chambre ça sent l'Hibiscus Pourpre, on boit du chaï citrouillé et on sourit des jours qui arrivent.

jeudi 7 février 2013

Tous les jours le premier jour

Sur le chemin pour rentrer de garde, je vascille un peu dans la grande montée. Je sais que je suis livide, l'absence de douche et la courte nuit sur les tapis de préparation à l'accouchement se lisent sur mon visage. Je ressemble à un fantôme puisant ses dernières forces pour grimper cette dernière rue et dans ma tête ça bouillone. Les histoires que j'ai lues cette nuit aux urgences dansent derrière mes yeux. Je revois cette maman que j'ai conduit dans le box de sa fille de mon âge pour qu'elle l'embrasse alors qu'elle dormait d'un lourd sommeil de médicaments, je revois ce vieux monsieur décharné qui voulait que je l'aide à s'enfuir de son brancard, je revois les trois hommes venus pour alcoolisationaïgueavecagressivité parler fort, sentir fort, je revois ce garçon canon qui l'est devenu beaucoup moins quand j'ai lu son motif de consultation, je revois mes patientes de gynéco, aussi, les tout petits coeurs qui battent et ceux qui ne battent plus. Le soulagement de celles à qui on dit que le bébé va bien, celui de celles à qui on dit que la fausse couche s'est faite toute seule ; celles qui scrutent l'écran de l'échographie pour appercevoir leur enfant même si il est tellement microscopique qu'on ne peut pas le distinguer et celles qui regardent le mur ; celles qui se déshabillent la porte à peine fermée et celles qui demandent si vraiment, vraiment, elles doivent enlever leur culotte ; et le sang.
Arrivée devant ma maison les rideaux de ma chambre sont fermés. Je sais que ma mère va chaque soir de garde les tirer, comme si j'étais là, comme si elle me bordait avant de me laisser dormir. Et je me demande, quand je ne reviendrai plus que les week ends, si elle tirera toujours mes rideaux lavande chaque soir pour les ouvrir chaque matin en attendant que je revienne le faire moi même deux jours par semaine.


samedi 19 janvier 2013

J'attends de pouvoir tout dire

Lorsque le battement rapide est apparu sur l'écran elle a plongé ses yeux dans les miens. Je crois qu'elle attendait un signe avant de se réjouir, d'être sure sure sure que c'était bien son enfant qu'on entendait là, que tout ce sang ne l'avait pas emporté et qu'elle pourrait rentrer chez elle avec sa petite photo en noir et blanc. Comme si c'était moi qui savait alors que c'était l'interne qui tenait la sonde et parlait parlait avec des mots compliqués. 

Je lui ai demandé combien de grossesses elle avait eu et ses yeux se sont mis à briller. Les larmes qui coulaient le long de ses joues tombaient sur sa feuille d'admission des urgences en faisant plocploc quand elle a parlé de ses deux IVG. Elle ne pouvait pas les garder, vraiment, c'était trop dur avec sa situation et ses deux petits et son mari qui travaillait mais pas elle parce qu'elle devait s'en occuper et puis elle avait déjà eu deux césariennes et son corps était trop abimé et, alors j'ai répondu qu'elle seule savait ce qui était le mieux pour elle et sa famille et qu'elle ne devait pas s'en vouloir. En partant, elle a dit avec un petit sourire aurevoir docteur mais surtout merci mademoiselle pour ce que vous savez, et ça m'a redonné un peu de force pour continuer la garde. 

En attendant le grandchef pour un avis digne d'un grandchef je suis allée discuter avec ce couple qui attendait depuis six heures de savoir si la fille de vingt-deux ans était enceinte. Trois heures du matin dans le hall des urgences d'un grand hôpital, il fait bon être trois, plutôt que seule en blouse dans mon box. Quand ils sont revenus, les grandchefs, ils se sont étonnés de notre complicité à la fille de vingt-deux ans et moi. 

Il y a ma blouse, il y a leur nudité et leurs pieds dans les étriers, il y a les internes qui ne comprennent pas que je répète vous avez compris sure sure sure ? plus doucement qu'eux, il y a les dames qui me demandent à moi de leur expliquer leur ordonnance. Il y a cette distance qu'on essaye de mettre entre elles et nous, et il n'y a que les failles dans cette distance qui me font tenir. 


dimanche 6 janvier 2013

L'aventure d'une nuit d'hiver

C'était l'après midi et pourtant la salle était déjà plongée dans l'obscurité. Je ne sais pas pourquoi j'y attache autant d'importance, mais à la place des dames je n'aimerais pas devoir accoucher avec pour seule vue les travaux de l'hôpital, la terre, la boue, et le béton. Elle, elle s'en foutait du dehors, elle pleurait trop pour regarder autre chose que ses paupières closes sur sa douleur. Son mari n'était pas là, mais non, il devait garder les autres enfants. La douce sage femme m'expliquait comment examiner la dame, me montrait les perfusions à régler et malgré mes efforts je ne sentais rien sous ses doigts, ni la tête, ni le col, rien rien rien. Quand le tout petit est apparu j'ai appuyé sur sa tête molle, doucement, comme elle m'avait montré, pour qu'il se présente par le plus petit diamètre. J'ai aimé me dire qu'on faisait attention à la dame cette fois, contrairement à tous ceux qui vont trop vite, examinent trop vite, décident trop vite, courent en blouse vers leurs bureaux puants la supériorité et le détachement. Du liquide chaud a coulé sur mes mains. Le tout petit visqueux a glissé et s'est retrouvé dans mes mains pleines de sang. J'ai pensé à ce qui se passerait si il glissait dans la poche en plastique accrochée à la table, je l'ai serré plus fort et je l'ai déposé sur le ventre de sa mère. J'ai enlevé mes gants, frotté fort sous l'eau brulante pour ne plus sentir le sang sur mes bras.

Le milieu de la nuit, et pourtant je suis debout en pleine lumière. La césarienne en urgence à 4h du matin m'a tirée du demi-sommeil de garde où on ne dort que d'un oeil espèrant que le bip ne sonnera plus, s'il vous plait, plus jusqu'à demain matin. La dame vomit et nous on coupe, on tire, on déchire son ventre pour la séparer de son enfant. Le liquide chaud, une nouvelle fois, qui m'étonne toujours. Je regarde mes avant bras et je pense à mon père qui n'y croirait pas si on lui disait que là, en casaque bleue avec du sang jusqu'aux coudes, c'est sa fille. Soudain une grosse tête et un petit corps bleu qu'on masse, et je dois couper le cordon, monde à l'envers. Il faut tout réparer maintenant, recoudre, nettoyer, ranger, vérifier qu'on n'a rien oublié dans la patiente (non mais, vraiment ?), et ma tête s'évade loin de cette salle glacée pendant que j'appuie fort sur les agrafes.