samedi 29 décembre 2012

Allez viens, on s'envole

J'ai pleuré dans des trains, j'ai pleuré dans son lit, j'ai pleuré en me levant, en me couchant, en m'endormant fatiguée d'avoir trop pleuré. J'ai pleuré de rage, parce qu'elle m'en demandait trop, parce que moi aussi j'étais terrorisée et que j'aurais voulu avoir le droit de pleurer de peur. J'ai pleuré de ne pas savoir ce que je voulais devenir, j'ai pleuré parce que je ne savais pas quoi faire d'autre. J'ai pleuré de joie, aussi, j'ai pleuré de papillons dans le ventre, j'ai pleuré de l'avoir retrouvé.

& j'ai appris à sécher mes larmes. J'ai compris que pour être heureuse il ne fallait pas attendre que tout soit parfait, sinon je serais vieille bien avant d'avoir connu la plénitude. Que ce n'était pas grave que ça se passe autrement que prévu, qu'on se quitte plus tôt, qu'on se revoit plus tard. Qu'il serait encore là, que je n'avais pas à le retenir et qu'il n'allait pas m'abandonner du jour au lendemain. Pourquoi j'ai eu si peur quand j'étais seule, pourquoi j'ai été tellement dépendante ? je ne sais pas, encore, mais ça viendra.
Et surtout, surtout, j'ai compris que je pouvais fabriquer mon bonheur toute seule. J'ai re-découvert les amies filles, les soirées tisanes, les ballades à Paris seule, les moments où on est juste bien et pas dans l'attente constante de le retrouver.

On m'a dit que j'avais le droit d'avoir peur, moi aussi. Que je n'étais pas nulle au yeux des gens, mais que j'avais réussi à les convaincre de ma capacité à me mettre en échec, toute seule, par peur d'échouer. Et ça change tout. J'ai vu que je pouvais réussir, que je n'étais pas en sucre, non non, et que tout au fond il y avait cette force qui m'a permis de les valider, et largement, ces putaindepartiels une semaine après avoir été larguée.

Je me suis sentie à ma place pour la première fois, j'ai fait rire, j'ai soulagé, j'ai consolé.
J'ai découvert Benjamin Biolay, j'ai rencontré deux filles qui brillent, j'ai aimé sans boule au ventre, j'ai fait mes premières tartocitron, j'ai bu des litres de thé, j'ai appris à me comprendre, j'ai trouvé où je voulais aller.

J'ai eu 22 ans. Maintenant, j'avance.

jeudi 20 décembre 2012

La toute dernière heure

Lui dire que malgré tout, tout, tout, je l'aime encore. Manger des makis-saumon-saint-moret et des pancakes, plein. Serrer C. dans mes bras. Avoir le vertige. Revoir la tour Eiffel. Être sure que tout le monde est heureux. Enfouir ma tête dans son cou, et attendre là.

& prendre mes grigris avec moi

samedi 15 décembre 2012

On avait pris le parti, de se foutre du temps

La dernière garde.
On m'a demandé de faire un ECG à une fille de l'aile ado qui venait de faire un malaise. Je suis entrée dans sa chambre où elle fumait/grignotait/rigolait avec ses amies du service, dépressives, boulimiques, angoissées, anorexiques. Elles devaient discuter de garçons, pouffer entre copines. Et j'ai eu l'impression d'être l'une d'elles qui aurait volé une blouse, déguisée. "Non mais j'ai quoi, juste 3-4 ans de plus qu'elles, non ?". Et non, DIX ans de plus, putain. Dix ans de plus que les ados et je me considère encore enfant. Je dis toujours "les adultes..." sans jamais me ranger dans leur catégorie. Je passe ma journée à penser à ce que je ferai quand je serai grande. Quand je serai grande j'aurai le livre de Marjo dans mon cabinet, quand je serai grande j'aurai mon tatouagedelavie, quand je serai grande je n'aurai plus peur qu'on m'abandonne, quand je serai grande je saurai tricoter, quand je serai grande je ne pleurerai plus en m'endormant, quand je serai grande je mangerai de la soupe le soir.
J'aurais pu m'asseoir sur son lit avec les autres, on aurait rit en lui disant que quand même, cacher une lame de rasoir dans son portable pour s'entailler les bras ce soir, c'était fort, qu'elles les avait bien eu. Mais alors. Je lui ai dit que son ECG était parfait et j'ai refermé la porte derrière moi pour retourner côté urgences accueillir des enfants de quelques semaines, là où je sais faire la différence.

titre de Da Silva

mercredi 12 décembre 2012

Tire d'ailes

Elle, elle est toute petite. Elle a 17 jours et l'océan au fond des yeux. Elle a n'a pas un mois et doit déjà se débrouiller toute seule. Quand on entre dans sa chambre elle nous fixe, agrippe les doigts qui essayent de la rassurer, tire les cheveux qui chatouillent son visage quand on la sert contre nous. On l'a installée dans la chambre la plus bruyante du service pour qu'elle ne se sente pas seule, pour lui faire oublier sa chambre vide de parents. On lui a mis de la musique, on lui parle doucement, avec des mots doux rassurants tendres pour qu'elle en soit remplie. Et puis on l'a rendue à sa maman, à sa place, en croisant les doigts très fort pour que tout change et qu'elle en veuille, de cette petite fille dans sa vie.

Elle, elle est pleine de larmes. Qu'on la porte, la repose, l'allonge, joue avec elle, lui donne à manger, elle pleure. Elle regarde ses jouets mais ne les prend pas. Elle se cramponne à sa tétine. Si on sort de sa chambre, elle hurle. Alors je l'ai apprivoisée, à coup de chansons, de caresses dans ses petits cheveux qui, eux, sentent plus le bébé que la cigarette et ce matin elle a rit avec moi. Sa chambre est toujours remplie de soignants en blouse, parce lorsqu'elle sourit, qu'elle est belle. Elle n'a pas de carnet de santé, pas de médecin traitant, pas de vraie maison, pas de papa, pas de jouet chez elle vu ses yeux écarquillés devant ceux du service. Et vu ses progrès en deux jours, même si on sait qu'il ne faut pas, jamais, y penser, on n'a pas du tout envie qu'elle reparte.

Elle a 14 ans et plus personne ne veut d'elle à sa maison, pourtant son seul méfait est d'être malheureuse. Elle a 4 ans et me fait rire comme personne. Il a 10 ans et plus de sang sur lui que j'en ai vu dans toute ma vie. Il hurle et sa mère à côté de lui rigole au téléphone. Elle a 2 ans et sait déjà se servir du sthétoscope. Il a 7 ans, est loin de son pays, et ne peut plus aller à l'école à cause de son petit crâne chauve caché sous son bonnet. Elle a 12 ans et a couru vers moi quand elle m'a recroisée dans la salle d'attente, lors de sa visite de contrôle. Elle a 9 ans et passe la nuit debout, de peur de ne pas grandir. Elle a 13 ans et m'a montré comment tricoter, et vu son sourire j'ai fait comme si j'avais compris.

lundi 3 décembre 2012

Diaphane

Quelques jours déjà que j'ai l'impression que mes mains ne m'appartiennent plus. Elles laissent glisser, brûler, rayer, les choses que je voudrais parfaites. Mon cerveau, aussi, qui patine, et me donne envie de me rouler en boule pour chouiner tous ces petits ratés à quelques secondes près, quelques mots près, quelques amis près. La fatigue, oui je sais, mais ça passe tellement après tout, dormir. Je cours à l'hôpital, je cours entre les chambres, je cours pour avoir le bus, je cours après le bus que j'ai vu filer devant mon nez, je cours pour réussir à ingurgiter toutes ces pages de médicaments, et puis je cours me coucher et il est déjà bien trop tôt du lendemain. J'ai l'impression de n'être qu'une demie-moi, alors je me remplie à coup de thés-chocolat-au-caramel-au-beurre-salé et de Biolay, je me retrouve à coup de ses mots doux, dessinée par ses calins, plus vivante sous ses baisers. Il n'est jamais loin, et j'ai l'impression que c'est l'idée qu'il existe qui m'ancre dans la vraie vie, sans quoi je me laisserais porter par la date qui change chaque matin.

Dans deux semaines je quitte le service. J'y aurai appris qu'un bébé sans maman, même à quinze jours, développe des techniques de survie. Qu'à 13 ans ça peut paraitre immensément effrayant d'être heureuse. "Le bonheur c'est difficile, ça me fait peur", elle m'a dit. Qu'une petite fille de 6 ans qui voit sa grande soeur à l'hôpital peut, elle aussi, arrêter de manger. Que les parents peuvent en avoir assez de leur enfant, du genre à ne plus vouloir d'eux. Qu'à 3 ans comme à 17, les enfants ont besoin qu'on les prenne dans ses bras. Comme à 22, d'ailleurs.