dimanche 6 janvier 2013

L'aventure d'une nuit d'hiver

C'était l'après midi et pourtant la salle était déjà plongée dans l'obscurité. Je ne sais pas pourquoi j'y attache autant d'importance, mais à la place des dames je n'aimerais pas devoir accoucher avec pour seule vue les travaux de l'hôpital, la terre, la boue, et le béton. Elle, elle s'en foutait du dehors, elle pleurait trop pour regarder autre chose que ses paupières closes sur sa douleur. Son mari n'était pas là, mais non, il devait garder les autres enfants. La douce sage femme m'expliquait comment examiner la dame, me montrait les perfusions à régler et malgré mes efforts je ne sentais rien sous ses doigts, ni la tête, ni le col, rien rien rien. Quand le tout petit est apparu j'ai appuyé sur sa tête molle, doucement, comme elle m'avait montré, pour qu'il se présente par le plus petit diamètre. J'ai aimé me dire qu'on faisait attention à la dame cette fois, contrairement à tous ceux qui vont trop vite, examinent trop vite, décident trop vite, courent en blouse vers leurs bureaux puants la supériorité et le détachement. Du liquide chaud a coulé sur mes mains. Le tout petit visqueux a glissé et s'est retrouvé dans mes mains pleines de sang. J'ai pensé à ce qui se passerait si il glissait dans la poche en plastique accrochée à la table, je l'ai serré plus fort et je l'ai déposé sur le ventre de sa mère. J'ai enlevé mes gants, frotté fort sous l'eau brulante pour ne plus sentir le sang sur mes bras.

Le milieu de la nuit, et pourtant je suis debout en pleine lumière. La césarienne en urgence à 4h du matin m'a tirée du demi-sommeil de garde où on ne dort que d'un oeil espèrant que le bip ne sonnera plus, s'il vous plait, plus jusqu'à demain matin. La dame vomit et nous on coupe, on tire, on déchire son ventre pour la séparer de son enfant. Le liquide chaud, une nouvelle fois, qui m'étonne toujours. Je regarde mes avant bras et je pense à mon père qui n'y croirait pas si on lui disait que là, en casaque bleue avec du sang jusqu'aux coudes, c'est sa fille. Soudain une grosse tête et un petit corps bleu qu'on masse, et je dois couper le cordon, monde à l'envers. Il faut tout réparer maintenant, recoudre, nettoyer, ranger, vérifier qu'on n'a rien oublié dans la patiente (non mais, vraiment ?), et ma tête s'évade loin de cette salle glacée pendant que j'appuie fort sur les agrafes.

6 commentaires:

  1. C'est tellement, tellement bien écrit!
    Tu aides des êtres humains à venir au monde, ça doit être tellement fou, malgré le sang, et tout le reste...

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  2. Tu racontes ça vraiment pas bien, et c'est rassurant de voir qu il y a des (futurs) professionnels qui font du bon travail avec du respect pour les patients !

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    1. Oups ! Je voulais dire que tu racontais ça vraiment bien ! J'ai honte là ! Hahaha je suis un boulet !

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  3. J'ai le droit de dire "whaou"?! On vous en demande vraiment beaucoup en médecine et toi tu gères comme une cheffe! Tu m'épates mon bébé-docteur-qui-en-sera-bientôt-un-vrai. <3

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  4. Tu as de la chance d'avoir des douces sage-femmes qui te montre les beaux gestes et les jolies choses...

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  5. Tu le sais, toi, que je chouine, quand je lis ce billet.

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