samedi 19 janvier 2013

J'attends de pouvoir tout dire

Lorsque le battement rapide est apparu sur l'écran elle a plongé ses yeux dans les miens. Je crois qu'elle attendait un signe avant de se réjouir, d'être sure sure sure que c'était bien son enfant qu'on entendait là, que tout ce sang ne l'avait pas emporté et qu'elle pourrait rentrer chez elle avec sa petite photo en noir et blanc. Comme si c'était moi qui savait alors que c'était l'interne qui tenait la sonde et parlait parlait avec des mots compliqués. 

Je lui ai demandé combien de grossesses elle avait eu et ses yeux se sont mis à briller. Les larmes qui coulaient le long de ses joues tombaient sur sa feuille d'admission des urgences en faisant plocploc quand elle a parlé de ses deux IVG. Elle ne pouvait pas les garder, vraiment, c'était trop dur avec sa situation et ses deux petits et son mari qui travaillait mais pas elle parce qu'elle devait s'en occuper et puis elle avait déjà eu deux césariennes et son corps était trop abimé et, alors j'ai répondu qu'elle seule savait ce qui était le mieux pour elle et sa famille et qu'elle ne devait pas s'en vouloir. En partant, elle a dit avec un petit sourire aurevoir docteur mais surtout merci mademoiselle pour ce que vous savez, et ça m'a redonné un peu de force pour continuer la garde. 

En attendant le grandchef pour un avis digne d'un grandchef je suis allée discuter avec ce couple qui attendait depuis six heures de savoir si la fille de vingt-deux ans était enceinte. Trois heures du matin dans le hall des urgences d'un grand hôpital, il fait bon être trois, plutôt que seule en blouse dans mon box. Quand ils sont revenus, les grandchefs, ils se sont étonnés de notre complicité à la fille de vingt-deux ans et moi. 

Il y a ma blouse, il y a leur nudité et leurs pieds dans les étriers, il y a les internes qui ne comprennent pas que je répète vous avez compris sure sure sure ? plus doucement qu'eux, il y a les dames qui me demandent à moi de leur expliquer leur ordonnance. Il y a cette distance qu'on essaye de mettre entre elles et nous, et il n'y a que les failles dans cette distance qui me font tenir. 


5 commentaires:

  1. Tu écris si bien Miss Pouic. Nul doute que tu sois faite pour ce métier : tes qualités humaines sont tellement rares et tellement importantes. Tes patients ont de la chance.

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  2. Si seulement je pouvais "tomber" sur quelqu'un comme toi un jour dans ces lieux qui me font si peur ... Tu es impressionnante de prévenance et de délicatesse !

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  3. Tu es vraiment belle Mademoiselle. (et pas qu'à l'extérieur)

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  4. Ce sont ces "failles" comme les autres, ceux qui restent à distance, les appellent ... qui font de toi un très bon futur médecin. C'est rassurer / écouter / prévenir / dire // c'est vraiment, ça, ça, le plus important.

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  5. Construire un lien humain, c'est pourtant, je pense, indispensable. Surtout à l'hôpital. Heureusement qu'il reste encore quelques Mlle Pouic pour rassurer. <3

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