mercredi 24 décembre 2014

Des ahuris / des ébahis / qui guettent les comètes / les planètes et les épiphanies

J'ai vingt-quatre ans et la forme physique d'une vieille dame de quatre-vingt hivers, fatigue chevillée au corps et yeux cernés d'apprendre toutes ces maladies. J'ai vingt-quatre ans et le sourire d'une enfant, petite fille écarquillés devant tout ce qui brille et qui réchauffe, le cœur qui s'emballe un peu trop vite pour un peu trop tout, des papillons dans le ventre et des rêves partout dans la tête. J'ai vingt-quatre ans et je suis debout, me dandinant parfois d'une jambe sur l'autre, vacillant quand on me bouscule mais malgré ça toujours droite, les yeux vers l'horizon et les pieds cramponnés à ce fil qui m'a semblé si fragile et chancelant. J'ai vingt-quatre ans et derrière moi les espoirs de l'hiver dernier, l'ironie des douze derniers mois s'est chargée de me rappeler l'absurdité des vœux d'anniversaire. Je marche droit, la vie devant. 2014 ne se sera pas fait sans larmes. J'ai quelques bleus au cœur, les ongles un peu rongés, je tire sans cesse sur ma jupe qui remonte et fais toujours le même sourire gêné sur les photos. Je suis un peu plus depuis quelques mois et je redécouvre toutes ces choses que j'avais oubliées de moi. Il y a une main qui tient fort la mienne et ne semble pas vouloir se dérober lorsque je laisse s'échapper des brides de vrai. Il y a eu des larmes, oh oui, mais il y a eu aussi tellement de sourires radieux, de cheveux au vent, de poings serrés, & puis de l'amour timide et des cœurs qui palpitent. Il y a eu la maladie, celle qui s'accroche encore et toujours depuis six ans et qui en nous écartelant nous resserre un peu plus. On continuera d'apporter des gâteaux au yaourt sur des plateaux fleuris au fin fond d'un service de soin palliatif si ça peut faire éclore un sourire, on ne se lâchera jamais les mains dans les églises gelées, on y lira aussi des textes de Brassens, on essaiera de garder malgré tout un peu d'espoir et on continuera d'en rire, derrière le rideau de douleur, de notre famille cabossée qui s'aime tant. Et puis on boira des coups, là-bas, sur une petite île près de la Turquie, avec du vin doux et de la pastèque en leur honneur. On se serre et on s'embrasse, j'ai vingt-quatre ans, on trinque, à nos amours.


samedi 6 décembre 2014


Il y a un an on avait mangé des éclairs au café au milieu de la nuit. Oui, c'est de ça dont je me rappelle. Notre course folle, zigzaguants entre les voitures ivres de chagrin, pour aller chercher le paquet soigneusement emballé que ma mère était allé acheter avant d'accourir à l'hôpital. Je crois que je n'ai même jamais su à qui ces éclairs étaient destinés, mais leur goût sucré au milieu des larmes qui coulaient sur nos joues rouges, dans le noir de la nuit et le froid de décembre, mangés à petites bouchées sur ces marches gelées de la sortie de secours, ça, je me souviens. Leurs yeux frottés, la télévision du gardien qui vociférait, la douceur des cheveux bouclés de ma cousine que j'ai caressés sans fin, la bouche qui tremblait de mon cousin, si petit recroquevillé dans les bras de sa mère, et puis nos rires, malgré tout, contre cette vie qui s'acharne. Cette drôle de pièce remplie de fausses fleurs et de tasses émaillées pour recueillir la douleur de ceux qui restent et ma tête qui tombait encore et encore alors que je tentais de maintenir tant bien que mal mes yeux ouverts. Je voulais tenir jusqu'au bout - moi aussi -. Il y a eu tout ce qui est trop difficile pour être écrit et même prononcé, la détresse profonde dans les yeux de ceux qu'on aime, et ces images immondes de la maladie qui gagne. Tout ce qui s'invite dans les cauchemars et qui sort en gerbe ce soir. 
On l'a fait. 
& on n'oublie rien. Du tout. 


jeudi 20 novembre 2014

Tant qu'on n'a pas brûlé le décor

Je ne sais pas comment c'est arrivé, exactement, mais il y a eu ce matin dont on avait parlé tout l'été avec G., ce matin fabuleux où la chape de plomb qui t'écrase-t'étreint-t'abasourdi a disparu, envolée avec la nuit. Et je découvre que, centimètre par centimètre, je peux de nouveau aller vers les autres. Recueillir leurs peines sans que la mienne n'étouffe chaque petite parcelle de mon empathie, sourire à leurs sourires parce que ça-va, oui, ça va même très bien, croiser de nouvelles mains, s'accrocher un tout petit peu, juste le temps de le réaliser, à des paroles douces - et découvrir que ça manquait cruellement depuis bien longtemps. Marcher à tout petits pas sur un nouveau chemin qui semble bien moins sinueux.

Je ne sais pas quand c'est revenu, exactement, cette angoisse au fond de la gorge. Peut être avec les jours qui perdent en luminosité, arrivé à petits pas avec la nuit, apparu un matin de brouillard, dans les dates qui me rappellent douloureusement ce que l'on vivait l'an dernier, à l'ouverture de ce fichu livre de cancéro et ses pages que j'évite consciencieusement. Le jour maudit qui flotte sur le calendrier comme un drapeau pirate, à la fois l'envie d'y être pour pouvoir dire on l'a fait, ça fait un an et on est toujours là poings serrés, et tout en même temps ne jamais ja-mais devoir réaliser que ça fait si longtemps que l'on a pas vu le fond de ses yeux et que l'on a réussi à vivre sans. L'envie de vomir quasi permanente depuis deux jours, exactement comme en décembre dernier jusqu'à ce que E. me fasse réaliser l'évidence de l'origine des nausées - la gorge serrée - l'impossibilité d'avaler ma salive sans forcer. Je naviguais en eaux troubles, un peu paumée dans ma douleur - et ma colère, oh oui cette colère - mais j'ai appris à oser baisser les armes pour laisser venir toutes ces larmes que je gardais pour moi. J'en ressortirai lessivée-essorée-épuisée si il le faut mais cette fois ci je ne me battrai pas contre ma peine. Viens là que je te laisse couler jusqu'à ce qu'il n'y ait plus une seule petite goutte de toi en moi, juste les souvenirs et nos rires quand on repense à lui. 

"Après la pluie vient toujours le soleil, en attendant il y a les arc en ciel" a dit G., ça tombe bien, c'est chouette les arc en ciel. 


jeudi 23 octobre 2014

Il pleut des larmes de crocodile

On pose nos mains à plat sur nos cuisses et on ferme les yeux. La voix du médecin qui a décidé de nous initier à l'hypnose se fait plus douce et nous intime de nous concentrer sur ces mains justement, la sensation de l'air qui les entoure, le tissu qui crisse sous nos doigts, l'appartenance à notre corps et leur délimitation. Il faut un joli souvenir sur lequel se concentrer et évidemment j'en choisis un où il y a la mer, le vent dans mes cheveux et des rires étouffés - les souvenirs d'avant la tempête de l'été ne sont plus autorisés. Je suis d'abord tentée de rire un peu, pouffer pour ne pas me laisser aller, mais finalement sa voix coule dans ma tête et semble délier quelques nœuds, ranger ce qui bouillonne sans cesse derrière mes yeux du matin au soir, et puis la nuit. Quand je les rouvre de longues minutes plus tard j'ai l'impression de m'être délestée d'une part d'angoisse et de me tenir un peu plus droite. Il faudra retenter l'expérience seule si j'y arrive, les rideaux tirés et le calme de ma chambre pour me concentrer. 

Un soir que l'on fait des plans sur la comète pour l'été prochain avec les amis de la fac, comptant et recomptant tous les gens qu'il faudra inviter dans notre future villa-avec-piscine, un des garçons prononce à voix haute l'évidence que tout le monde s'efforce d'ignorer depuis le début du dîner : "il manque quelqu'un quand même...". Oui, il manque quelqu'un, Il manque, il me manque. N'en parlez plus, supprimez tous les gens qui portent son prénom, annulez les cours où je croise son dos et son souvenir restera une douleur sourde que je tairai, promis. Je sais vivre avec l'absence. 

Avec l'arrivée du froid qui commence juste à piquer les joues, j'ai ressorti mes grosses écharpes et toute ma panoplie de petits rituels rassurants. Le porridge du matin et le thé de l'après midi - et quel plaisir de choisir celui qui accompagnera mes cours ! -, les carrés de chocolat noir 99% croqués à seize heures, la couverture et les grosses chaussettes pour les fin d'après-midi. Je me surprends bien trop souvent à regarder à travers ma fenêtre la façade de l'immeuble de l'autre côté de la rue. Au troisième étage, le balcon après le renfoncement abrite plusieurs fois par jour un homme en t-shirt qui fume, qu'il neige ou qu'il pleuve des cordes. Depuis six ans que nous nous observons, j'ai vu ses cheveux s'éclaircir, sa moto changer plusieurs fois et son fils passer de tout petit marmot qui se dandinait dans la rue à presque-ado dont les cris arrivent parfois jusqu'à mes oreilles. Je me demande ce qu'il se dit de cette fille qui passe ses journées à son bureau à boire du thé, inlassablement, années après années. 



/ la meilleure playlist de l'automne est ici si ça vous dit /
/ pour commander des jolis mots c'est chez ma copine Hélène /

dimanche 12 octobre 2014

Ceux qu'octobre illumine

C'est un de ces dimanches pelotonnée sous un vieux plaid, un de ces dimanches qu'on redoutait lorsque le soleil réchauffait encore nos peaux et qu'on se surprend à finalement apprécier, le thé sur les genoux et les nuages qui assombrissent les livres ouvert sur le bureau. Il faut dire que c'est un dimanche qui avait commencé plus tard que d'habitude avec du miel de lavande dégusté sous les draps, et ça alors, ça transformerait n'importe quelle journée. C'est pour ce genre de dimanche que je commence à me résoudre à l'arrivée de l'automne, même si ça veut dire laisser cet été derrière moi et avec lui les toutes dernières miettes de mon amour écrabouillé. Cet été comme un écho à l'été deux mille douze, les deux été cœurbrisé mais cœur qui bat bien plus fort. Est ce qu'on vit encore mieux quand on a cru mourir de chagrin quelques jours avant ? Cet été là où j'ai compris ce qui comptait, où j'ai laissé tomber les barrières et accepté de me retrouver m-o-i un peu plus. Il aura fallu cette île loin de tout où je me suis heurtée à chacune des habitudes grecques pour finalement réaliser que c'était exactement ça dont j'avais besoin pour me relever, une vraie liberté un peu folle, très irresponsable, mais tellement plus vivante que le monde millimétré dans lequel j'évolue depuis six ans. 
Je ne suis pas très forte pour les renoncements il parait, mais avec octobre est venu le moment tant redouté où je suis devenue incapable de me figurer exactement à quoi ça ressemblait d'être contre lui. J'ai oublié, effacé de ma mémoire, dés-imprimé de mon corps ce qui a fait le jour pendant si longtemps pour que mes larmes n'aient plus jamais le goût de ses abandons. 


mardi 9 septembre 2014

Les horizons

C'est pas facile de continuer la route. J'ai l'impression d'avancer à tout petits pas, cahin caha, me tordant bien trop souvent la cheville dans les aspérités de ce quotidien un peu rugueux. J'apprends de nouveau à mettre un pied devant l'autre seule, parce qu'il parait qu'il faut bien avancer, sans autre garde-fou que les mots de celles qui m'entourent et me retiennent lorsque je penche d'un côté ou de l'autre dans ce numéro d'équilibriste impossible. Chaque semaine il y a ces quatre heures où je croise ta silhouette dont je ne regarde plus que le dos pour que tu ne puisses pas remarquer les larmes qui parfois perlent malgré tous mes efforts & mes mains qui tremblent. Nos vies qui battent si proches l'une de l'autre quand tout le monde se parle autour de nous et que nos deux fantômes restent silencieux, tout à leur concentration de s'ignorer. Surtout ne pas laisser échapper un seul éclat qui rappellerait qu'il y a quelques semaines encore on racontait tout ébouriffés de notre folle course en voiture nos jolies vacances (que je croyais) passées ensemble. Le visage froid et méprisant que je t'oppose en espérant pouvoir t'atteindre une dernière fois, attaquer un peu ton cœur de glace. Répondre invariablement à tout ce qui m'agace, me titille, blesse ou fatigue que dans 8 mois 3/4 c'est fini. J'ai l'impression que tout recommencera à ce moment là seulement et je ne peux m'empêcher de prévoir déjà les symboles qu'il faudra associer à cet été de la prochaine vie. Mais promis, même si c'est la destination qui est belle je ne me laisserai pas gâcher le voyage. Aussi difficiles, sombres et piquants qu'ils seront, j'essaierai de ne pas oublier que chaque matin peut apporter son lot de sourires.



vendredi 29 août 2014

Tu verras, t'en fais pas

Il y a mon livre ouvert devant moi, mon thé fumant pour réchauffer un peu mes doigts gelés, le soleil qui perce - très - timidement entre les nuages et qui éclaire sur mes joues les dernières traces de bronzage, et puis il y a ma tête, loin, de l'autre côté de la mer. Je refuse de m'accoutumer à ce retour. La Grèce, pan, coup de foudre inattendu, imprévisible, indispensable. Il y a les copines qui m'entourent fort et qui me serrent de près, joyeuse danse des soirs de semaine pour me faire oublier les soirées seule à venir et les pages de cours en retard qui s'accumulent. Leurs voix qui chantent trop fort des chansons ridicules, les textos échangés bien trop tard dans la nuit, beaucoup trop de bouteilles qui rendent les yeux plus brillants. Certains matins il y a ce qui me fera toujours sourire, même si, le paquet à pois dorés retiré à la poste contenant une guirlande d'étoiles et un livre qui parle de Grèce, d'amour et de feuilles de vigne. Et dans un coin il y a moi, un peu tremblante, plus trop sure de rien, les larmes jamais loin. Il faut croire qu'il ne faut jamais croire en rien, à part peut être en l'impermanence des choses, pour ne pas devoir chaque fois se relever un peu plus bousillée.


mardi 19 août 2014

άστερας

On y passe la journée les pieds dans l’eau et la nuit juste sous les étoiles. Partout, le ciel et la mer échangent leurs nuances de bleu au point de se confondre à l’horizon au milieu des autres îles grecques que l’on distingue quand le soleil se couche. On mange de la pastèque sur la terrasse qui surplombe le village, on boit du vin doux qui râpe un peu la langue, puis on se rend à la taverne et on commande une quantité irraisonnée de saganaki pour finalement se disputer les miettes. On roule bien trop vite dans les routes de montagne avec la musique si fort qu’elle fait vibrer les sièges de la vieille voiture de location et on s’arrête au milieu du chemin pour prendre une millième photo de la mer, la mer, la mer. On se fait offrir des poires tout juste cueillies dans leur jardin par les veilles personnes du village, on m’apprend quelques mots que je répète en boucle et - évidemment - ils se moquent de mon accent. Agapimou agapimou agapimou. On chante à tue-tête en inventant les paroles en grec, on rit sans pouvoir s'arrêter dans la mer - et on boit des litres d’eau salée -, on fait la course jusqu’à la bouée, et puis celle d’après, encore plus loin, toujours plus vite. Une fois je conduis la grosse jeep dans les chemins poussiéreux en poussant l’accélérateur jusqu’à faire crier mon père, et le vent qui fait battre mes cheveux sur mes joues me donne l’impression d’être profondément là, intensément vivante à cet instant précis. Mes poumons s’emplissent entièrement de l’air chaud qui a cette odeur si parfaite que je ne retrouve qu’en Corse et ici et que j’aimerais tant garder dans un bocal, comme ceux que j’emplissais de sable quand j’étais gamine, juste pour pouvoir ouvrir le couvercle quand décembre viendra et que j’aurai oublié comme c’est bon d’inspirer à chaque seconde la figue, le pin, l’iode et l’asphalte brûlé. Et comme on est sur l’île de toutes les folies et que mon ventre s’est dénoué et mes épaules dépliées depuis mon arrivée, à la tombée du jour le dernier soir je décide de ne pas perdre une seule seconde à dormir. Je retrouve Y. au milieu de la nuit et on roule jusqu’à un monastère qui surplombe la baie, on regarde les lumières qui clignotent sur la plage et on fait un concours d’étoiles filantes. Il me dit qu’il a déjà essayé plusieurs fois de compter les étoiles et je lui réponds qu’il devrait plutôt tenter sa chance à Paris, ici le ciel est impressionnant de pureté et même la lune semble s’être cachée pour ne pas nous gâcher le spectacle des milliards de millions d’étoiles. C’est moche étoile, je préfère asterias il explique avec son accent grec qui me fait tellement rire. Je profite des derniers grains de sables entre mes orteils, je sens encore un peu mes épaules brûler, et puis il faut m’arracher à la mer pour aller manger une dernière pita et of course des loukoumades avec mes cousins. Cette île qu’il nous a laissée en héritage me donne envie de vivre encore plus grand, sentir mon cœur battre toujours plus vite. Sur le toit de l’île, dans un tout petit monastère qui fait face à la Turquie je leur ai dit merci, à l’île, à lui. Et à l’année prochaine.






lundi 11 août 2014

Nos poin-t-s serrés

J’écris depuis cette terrasse entre ciel et mer, le balcon de l’île, si haut que l’on voit au-dessus du sommet des montagnes qui s’alignent face à la mer. A perte de vue il y a l’eau, immense bleu profond qui se confond dans la brume avec celui du ciel, laissant apparaître en ombre chinoises les cotes de la Turquie. On est venus ici tous les trois pour honorer une promesse, alors bras croisés et coudes serrés contre nos tailles, on monte la minuscule allée jusqu’à leur maison aux volets rouges accrochée au flanc de la montagne à l’autre bout du village. Il en fallait, du courage, pour revenir ici sans lui, et si parfois les larmes perlent dans l’obscurité de la voiture qui fonce la nuit le long des routes sinueuses, l’île semble faite pour absorber toute cette tristesse. On ne doit pas pouvoir rester prostré à pleurer quand ici le soleil réchauffe les peaux pâles dès les premières heures, le marchand de fruits chante sa rengaine à chaque rue et les gens que l’on croise nous offrent les oranges de leur jardin. L'air embaume l'eucalyptus, la figue, le sel et mes poumons semblent avoir retrouvé leur capacité toute entière, je sens mes alvéoles se délier. 
On  se découvre chacun des traits de celui qui nous manque et on rit des défauts partagés. C’est doux parfois de laisser les faux semblant sur le tarmac du minuscule aéroport et de pouvoir rire à gorge déployée et râler pour rien parce qu’on est entourés de gens inconditionnels.

C’est peut être ça la famille, alors. 




jeudi 31 juillet 2014

Hurler

Le premier matin sans toi a le goût amer des somnifères. J'ai essayé d'avaler les toutes dernières gorgées du chocolat chaud espagnol que tu m'avais offert, le dernier jour de nos dernières vacances, mais la nausée m'a rattrapée. J'ai le cœur au bord des lèvres, le corps qui s'arc-boute à chaque hoquet de sanglot et un feu qui me déchire le fond du ventre. Il fait insolemment beau, c'est ridicule. Qui aurait envie de mettre une robe et des sandales après avoir entendu cette phrase sans sens je-ne-sais-plus-si-je-suis-amoureux-de-toi. Et puis comment ça tu ne sais plus ? Comme si il pouvait y avoir un doute ? Je sais moi quand je vois tes yeux embués et ta bouche qui tremble me dire que tu ne sais pas, je sais quand je sens une dernière fois ton cou, la tête dans ton épaule pour laisser couler toute cette douleur qui me submerge, je sais quand je te regardais dormir la veille que je pourrais hurler des jours durant le manque de toi. Je sais quand mes doigts tremblent sur le clavier et que les larmes tombent dans mon bol de petit déjeuner que je ne sais plus faire le jour sans toi, être à la vie semble tellement fade sans le creux de ta main.

vendredi 25 juillet 2014

Ces deux là

Ma copine Adelles en avait parlé, ça m'a titillée, & quand j'ai lu les quatre thèmes il y en a un qui m'a accrochée. "Ça fait deux heures qu'il l'attend". Pof, quelques jours plus tard j'avais mes six mille signes pour le concours de nouvelles d'Au féminin. Je m'en fiche du nombre de votes, je n'ai aucune prétention dans cette compétition. Je voulais juste me prouver qu'une fois j'ai pu écrire "sur commande" et avoir votre avis sur ce texte qui change un peu. Il est ici (et il y a d'autres jolis textes à découvrir), et sinon juste là... 

     Il est assis sur le canapé, les yeux fixés sur le planisphère punaisé au-dessus de la télé. Il est rentré tôt, le parfum des vacances a vidé le bureau à dix-huit heures. Du dehors on entend les talons qui claquent sur le béton et résonnent jusqu’aux fenêtres et les voitures qui accélèrent après le dos-d’âne juste devant leur immeuble. C’est rare qu’il soit le premier à l’appartement et il profite de ces minutes de silence. Il pense à leurs vacances en Provence le mois prochain, les champs de lavande et son sourire au bord de la piscine. Ça sera bien. Il aimerait s’assoupir quelques minutes mais elle va bientôt rentrer et elle se moquerait de lui et de sa propension à s’endormir partout et tout le temps, tu devrais faire des concours de sieste elle lui dit souvent et il rit – jaune, parfois. L’odeur de la boulangerie qui se faufile parmi celles écrasantes de la ville parvient à ses narines et lui rappelle que c’est à son tour de cuisiner ce soir.
Ça fait deux heures qu’il l’attend. Dehors les bruits se sont assourdis, la boulangerie a fermé ses portes et les pas qui frappent le pavé sont pressés de rentrer. Il a fait le tour de l’appartement et rangé quelques bricoles, elle sera satisfaite quand elle rentrera. La table est mise pour deux et il guette le bruit de l’ascenseur pour allumer le four.
La sonnerie du téléphone brise le calme du salon. Il s’étonne, jamais personne n’appelle sur le fixe. Il pense ça fait deux heures que je l’attends et elle m’appelle sur le fixe ? Elle me fait une blague ? Il ne pense pas aux sirènes du SAMU qui hurlaient à l’autre bout du boulevard tout à l’heure. Il s’approche du téléphone, il n’a toujours aucun doute. Il est vierge de l’horreur, il est pur, blanc comme neige, il ne connait pas encore la douleur de la vie qui se disloque pour venir s’écraser en tout petits morceaux devant ses yeux, irréparable. Il pense quand même elle exagère, elle sait qu’il faut que je bosse après diner, il lui en veut un petit peu. S’il savait. Il met le téléphone à son oreille et bascule dans la vied’après. La déferlante de mots pourtant choisis avec soin vient s’ancrer comme un poignard au plus profond de son ventre. Il ferme les yeux. La femme s’égosille dans son oreille et il voudrait être très loin, dans un champ de lavande peut être. L’horreur l’éblouit et le ramène à l’appartement, Paris, le sol sur lequel il s’est effondré.
     Je suis face à elle. J’imagine que quelqu’un quelque part guette le bruit de la porte du hall qui se ferme un peu fort et les sandales qui claquent dans les escaliers mais je ne peux pas savoir que c’est lui, qui l’attend elle. Elle est allongée livide sur le drap pâle dans cette pièce sans vie, sans voix, sans rien qui la relie au monde des gens debout que le mouvement de son thorax à intervalles réguliers. Je sais qu’elle est gelée malgré les machines qui la maintiennent en vie, j’ai recouvert son corps nu d’une couverture d’hôpital. Elle est jeune, presque mon âge, et la voix dans ma tête qui me rappelle ça pourrait être toi, sonne un peu plus fort que d’habitude.
Je voudrais sortir du service, respirer un instant l’air du dehors avant qu’il n’arrive. Je ne me fais pas à cette odeur de javel qui tente de couvrir les urines transvasées de poches à bocaux, les cheveux sales, le reste de chili con carne des infirmières de nuit et le sang, surtout le sang. Je fais rouler une pièce dans ma poche, la machine à café m’appelle. Je n’ai pas eu le temps de manger mais ça m’embête de la laisser là toute seule et puis si il arrive je ne veux pas qu’il la découvre comme ça… Il est tard, il a dû l’attendre longtemps. Combien d’heures de retard avant qu’on ose appeler la police ? L’hôpital ?
Elle n’est pas si amochée finalement si on fait exception des deux cernes violettes qui barrent ses yeux. Je sais qu’il croira qu’elle dort seulement, je sais qu’il s’accrochera à cet espoir avec plus de force qu’il n’en aura eu dans sa vie précédente, sa vie avant ce soir. Certaines nuits je n’ai plus envie d’être celle qui détruit cet espoir, celle qui explique que même si on y croit le plus fort du monde, même si on fait mille pactes avec la vie, dieu, le vent, avec tout ce en quoi on croit, la personne allongée devant soi est morte, pour de vrai. Je suis désolée.
C’est laid la mort, ça te force à regarder des visages déchirés par les larmes, des nez qui coulent et des manches qui essuient. L’humain sans fard te transperce et le lendemain en rentrant chez toi après ta garde tu as perdu un nouveau bout d’innocence resté dans la pièce où tu as annoncé à une famille que la vie s’arrêtait là.
     Le dos d’âne devant l’immeuble fait retentir un bruit qui l’empêche de sombrer. Il voudrait pouvoir hurler sans un son jusqu’à ce qu’il n’y ait plus rien, plus que lui qui hurle dans un monde qui ne devrait pas exister, qui ne peut exister, dans lequel il ne peut se relever. Ça le brûle de l’intérieur, il n’a plus d’organes, il n’a plus de cerveau et puis il n’a plus de cœur, il semblerait qu’il ait explosé dans le combiné. Il ne reste que les mots qui résonnent et sa voix à elle, comme un écho. Il se roule en boule sur le tapis, sa tête pressée contre ses genoux repliés mais il n’arrive pas à être assez petit, assez microscopique pour ne plus avoir assez de chair pour souffrir. Il sent son sang battre dans ses tempes, sa vie se diffuser dans chacune de ses cellules et tout ce à quoi il pense c’est qu’il faut que ça s’arrête, là, maintenant.
     Il est arrivé dans la chambre et je les ai laissés se retrouver une dernière fois. Depuis l’encadrure de la porte je les observe, lui, si douloureusement vivant, elle impassible et impuissante. La mort a ça de bon de ne plus concerner ceux qu’elle rattrape. Il prend sa main et la pose sur sa propre joue. Le sang qui coule dans ses veines contre sa paume froide et raide. Il l’a attendue deux heures dans le petit appartement et leur au revoir a un goût d’inachevé.

mercredi 2 juillet 2014

Vos yeux près des miens, flous


J'en ai fait des photo mentales. Essayé de marquer au plus profond de moi la chaleur du sable, la douceur de ses grains - très fins à Arcachon, bien moins à Barcelone -, le goût de la glace au caramelbeurresalé, la sensation de son bras près du mien, son bras qui respire, son bras qui vit juste à côté alors qu'il y a deux ans j'étais sur cette même plage pansant mon manque de lui. Il y a eu le soleil qui brûle doucement la peau beige et la transforme en un brun clair, plutôt biscuit doré que caramel et l'odeur de la crème cette année, maintenant que je sais que le mélanome peut frapper à vingt deux ans (oui, j'ai encore des illusions, et pourtant). Les barbecues et les hamburgers, et le goût de la vraieviande pour la première fois depuis neuf ans, depuis que du jour au lendemain je n'avais plus jamais voulu avaler un seul morceau de steak, doucement et avec beaucoup de patience, mais une petite réussite quand même. Un soir au bar avec ses amies qui rient de nous voir tous les deux les yeux fixés sur l'enfant qui babille à côté de notre table, et lui qui assure "ah non pas tout de suite", moi qui sourit d'entendre évoquée l'idée d'un peut être plus tard. Il y a eu plusieurs fois où je lui ai glissé que c'était parfait, un moment parfaitement parfait, sans même avoir trop peur que ça nous porte malchance. 
Espérons que tout ce chaud me tienne jusqu'à l'hiver. 



lundi 30 juin 2014

26/06/14


Je me réveille de ces nuits hagarde, bouffie et épuisée. J'ai les yeux gonflés et tirés par les rigoles que les larmes ont dessiné au mascara sur mes joues. Parfois je retrouve des griffures sur mon visage, les poings serrés trop fort peuvent marquer, parfois la peau du pouce à côté de l'ongle est rouge d'avoir été grattée. J'ai en moi une violence insoupçonnée, une détresse peut être, qui s'exprime certains soirs dans des crises de pleurs à n'en plus finir, à s'endormir épuisée entre deux sanglots, à se réveiller en se demandant comme j'ai pu en arriver là. En arriver à croire que la seule chose à faire pour soulager cette peine immense est de hurler dans mon oreiller. 
Dans la lumière du matin je respire sans hoqueter et j'ai l'impression d'y voir plus clair, le brouillard gris qui m'étouffait se dissipe, le temps de vaciller et je repars, les yeux juste un peu plus rouges que la veille, le cœur un peu moins lourd d'avoir épanché sa rancœur, sa misère et son incertitude

mercredi 18 juin 2014

A tes amours tes boréales

L’idée que la mort pouvait survenir à n’importe quel instant s’est ancrée dans ma chair lorsque j’ai franchi la porte de cette chambre de soins palliatifs, celle juste à gauche après la salle de repos où on avait passé la nuit avec mes cousins. Depuis plusieurs années elle était là, tapie dans un recoin, tue par les montagnes de mauvaise foi que je m’efforçais de déployer pour tromper mon père qui avait peur, ma mère qui avait peur et mon frère qui refusait catégoriquement d’entendre le mot hôpital prononcé à table. Et puis me tromper moi, évidemment. Parce que ça n’était pas possible, pas imaginable concevable supportable de se dire qu’elle aurait pu mourir. Qu’une fois, peut-être, après l’une de ses chimio, elle aurait pu rester au fond du petit lit blanc à barreaux, enfoncée dans le matelas trop mou et noyée sous les couvertures siglées APHP. Je n’ai réalisé avoir accepté l’idée que ma mère aurait pu mourir d’un des deux cancers qu’elle a eu en deux ans, et qu’elle puisse encore en mourir aujourd’hui, que lorsque j’ai vu la mort sur le visage de son frère, dans cette chambre de soins palliatifs, celle juste à gauche après la salle de repos. Alors oui, c’était donc vrai, le cancer pouvait les emporter, même eux. La vie se permettait de les laisser perdre le combat. Le quotidien devrait pour de vrai exister sans eux.

C’est laid la mort, les dernière heures d’agonie, les visages déchirés de larmes. Ce sont des images qui restent toujours dans un coin de cœur, comme plantées avec un gros pic rouillé qui déchiquète un peu plus les tissus à chaque fois que je croise un patient qui a la même maladie que lui, ou une maman de cinquante-cinq ans qui meurt un soir de février en laissant derrière elle ses enfants. J’ai serré mes dents fort comme jamais quand le chef a annoncé à cette fille de vingt ans que son père, celui qui encore ce matin se disputait avec elle, était désormais médicalement complètement de manière certaine et définitive mort. Genre mille fois plus fort que lors des consultations d’annonce d’oncologie-pédiatrique. Parce que j’ai la trouille. Je pue la terreur.


(j'avais écrit ça en janvier, me promettant de ne jamais le montrer, et puis comme il s'avère que cinq mois sans cancer dans ma famille ça faisait un peu long pour la vie et qu'il est donc de nouveau d'actualité, j'ose)

vendredi 9 mai 2014

Whispers

Je cours, j'avance tête baissée, je fonce vers l'objectif (un peu trop, il semblerait) fou que je me suis fixé. Je me suis entourée d'un brouillard qui ne laisse pas la place aux remises en questions, à moins que ça ne soit une coque de glace que ni les critiques ni les interrogations répétées des gens qui m'entourent ne réussissent à fêler. Puis il suffit d'une fois. Une phrase qui s'infiltre dans l'ultime faille que je n'ai pas dissimulée et mes épaules se relâchent, mon dos se tend, mes yeux se brouillent et j'ai envie de tout lâcher. Je ne sais pas faire dans dans l'un peu, le modéré, alors c'est tout que j'ai envie de balancer, laisser se briser en mille morceaux et bien piétiner pour être sure de ne pas pouvoir recommencer. Tous ces projets dans lesquels je me donne entière, chaque parcelle de mon vrai-moi. Il semblerait que je ne sache pas aimer à moitié. Alors je choisis des amis-garde-fous qui me rattrapent quand je penche dangereusement. Et la plupart, savez vous, ils sont apparus un jour ici et ils habillent maintenant mon quotidien. C'est drôle, la vie. // J'ai lu récemment deux livres qui m'ont fait pleurer comme jamais auparavant - Nos étoiles contraires & Rien ne s'oppose à la nuit (quelques années de retard, je sais) et le cou trempé de larmes j'ai eu l'impression que l'ordre se faisait dans ma tête, que la mauvaise foi que j'employais depuis plusieurs années à me cacher l'évidence ne serait plus suffisante. // "La conscience que la mort pouvait surgir à n'importe quel moment [...] une faille ou plutôt une empreinte indélébile" (D. de Vigan) // Tictactictac, le compte à rebours a commencé, la vraie vie se dessine au loin, une dernière année indécise et c'est f-i-n-i. // "Certains infinis sont plus vastes que d'autres" (John Green) // ça va, vous ?

vendredi 11 avril 2014

Dehors il fera mauve

L'évidence que je n'ai rien à faire là, en cinquième année de médecine, entourée de cerveaux bouillonnants à l’affût de la posologie qui leur fera gagner cinquante places à l'ECN. Et pourtant la profonde certitude que ma place est aux côtés des patients, assise du bout des fesses sur le bord du lit. Au fond d'un box de consultation des urgences pédiatriques à bercer un tout bébé pendant que sa mère règle son admission dans le service. Main dans la main avec une petite fille qui porte un bandana rose pour cacher son crâne blanc sur lequel une dizaine de cheveux résistent. Si c'est le chemin obligé pour pouvoir chaque matin arriver dans un service peint de toutes les couleurs, plafond duquel pendent des grues en origamis, au fond la bibliothèque et juste à côté le salon des parents, alors je le ferai. Le compte à rebours va bientôt se terminer pour les D4, j'entamerai dans quelques semaines ma dernière année vers la vraievie.

Il y a eu ce patient, mon dernier patient de réa avant que l'on change de service. Il mérite que l'on se souvienne de lui, beau comme un dieu et souriant de ses grandes dents blanches alors qu'il subissait une énième hospitalisation. En face de son lit une carte postale de la mer, il regardait des dessins animés le matin en attendant la visite. J'aurais voulu ne pas savoir, j'aurais voulu pouvoir me tromper moi même, mais j'ai reçu un sms disant qu'ils avaient arrêté son respirateur le lendemain de mon dernier jour. Je dépose alors son souvenir ici.

Il peut se passer des semaines sans que j'y pense, puis un soir les mots affluent et j'ai envie de revenir écrire ici quelques lignes pour vider ma tête des phrases qui l'emplissent. J'ai dit au revoir à la dame du samedi, un au revoir comme un adieu parce que je sais que je ne pourrai plus m'y épancher. Elle m'a guidée au début du chemin, mais il a suffit d'une fois alors qu'elle cherchait à expliquer une de mes peurs où le non sens de ses paroles m'a frappé. Je continuerai seule, ou seule et un peu accompagnée de vos passages ici. De toute façon quand il prend ma main et qu'il la caresse tout doucement avec son index, je crois que je n'ai plus peur de rien.


dimanche 16 mars 2014

Ephémère inoubliable

Chaque matin je pousse la porte battante du service de réanimation et chaque matin après avoir dépassé la salle d’attente où les familles aux yeux rougis attendent l’arrivée du médecin, je crois que je marmonne que ça pue. Je ne me fais pas à cette odeur de javel qui tente de couvrir les urines transvasées de poches à bocaux, les cheveux sales, le reste de chili con carne des infirmières de nuit et le sang, surtout le sang. Dans la salle de staff il faut reprendre ses esprits, sécher mes joues mouillées de pluie et adopter le masque de la moi de réa. La moi de réa se découvre une capacité à supporter côtoyer des horreurs, des histoires où la vie semble avoir voulu tant s’acharner sur la même famille qu’on ne pourrait plus rien trouver pour compléter la phrase qui rassure « mais imagine ça, ça serait encore pire ». Je reçois des patients pour qui la vie s’arrête en une seconde, certains jouaient au foot quand d’autres dinaient chez des amis, j’entends des parents hurler la mort de leur grand fils qu’ils n’avaient pas vu depuis des mois et qu’ils devaient justement retrouver la semaine prochaine, j’imagine des femmes qui attendront toujours le retour de celui qu’elles aiment alors que leur corps est allongé devant moi, glacial. 
La moi de réa ne flanche pas devant les lits qui se suivent et se ressemblent avec un pronostic vital catastrophique, voire nul, parfois même elle assiste aux entretiens avec les familles et se prend la douleur en pleine gueule. Dans la pièce, assis sur le fauteuil à côté du mien, il y a un être humain dont la vie vient de se disloquer, fêlée en mille morceaux par les mots terribles que le médecin vient juste de prononcer. Je voulais voir comment on annonce l’inacceptable. Les sœurs et les filles posent des questions tandis que les fils et les mères serrent leurs lèvres très fort et finissent par laisser couler des trombes d’eau jusque dans leur cou, et je suis juste là, à quelques centimètres d’eux et j’ai l’impression d’assister à la scène comme si j’étais étrangère à mon propre corps et que je volais au-dessus de tout ça. Bientôt je vais me lever, refermer doucement la porte derrière moi et continuer de rédiger mon observation, boire un coca pour maintenir mes yeux ouverts, me laver les mains pour la douze millième fois de la journée. Je vais avancer, avec ma vie pas trop fêlée, et quand je rentrerai chez moi demain matin après mes vingt-cinq heures de garde je ne penserai plus à ces visages défaits. Je ferai couler un bain et je me mettrai au boulot, pas le temps de dormir avec tous les partiels à réviser, un thé et du porridge et je tiendrai jusqu’à midi.
J’assiste impuissante et impassible au massacre des destins.


dimanche 9 février 2014


***
Trois petits tours sur moi même, 
un deux trois
je reprends mon souffle
& je reviens sur mes pas 

(je ne sais plus trop l’intérêt d'écrire ici plutôt que dans un document que-pour-moi-même, bien caché sur mon ordinateur - j'y réfléchis et je reviens ici - ou pas)

mercredi 22 janvier 2014

Rien ne desserrera ces poings

Chez la dame du samedi qui est devenue celle du début de semaine je parle de cette désagréable impression que j'ai de ne pas pouvoir échapper au triste destin que celui de mes grands parents, ma tante, ma mère puis mon oncle, il y a juste un mois et demi [et pourtant je jurerais qu'on parlait de concerts ensemble il y a deux jours]. Lors de ma dernière garde mon interne m'a lancé, après avoir vu un patient qui, pourtant bien que très fumeur et très alcoolique, avait quatre-vingt-dix  printemps et pas l'ombre d'un cancer "la vie est injuste, mais tu peux être sure que si t'as des gènes pourris tu pourras pas y échapper". Est ce que ça veut dire que si ces cinq dernières années la mort a emporté ou frôlé de près cinq de mes amours je mourrai aussi chauve et petit corps pâle au fond d'un lit d'hôpital, quand je serai grande ? 
Chez la dame on enlève ses chaussures en entrant et on monte le grand escaliers en bois qui craque avant de refermer derrière soi la porte de la pièce emplie de bougies et d'encens, où se côtoient des statuettes indiennes et  des peintures abstraites. Il y a des chew gums sans sucres à la fraise et de la Badoit rouge sur la table mais je n'ose jamais me servir. On parle beaucoup du sens des mots pour que j'arrive à exprimer précisément de quoi est faite la boule qui me compresse le je-ne-sais-plus-combientième chakra, celui entre le thymus et le cœur. Elle m'explique pourquoi cette malveillance qui me blesse tant quand elle vient des gens que j'aimerais admirer à l'hôpital et me donne des phrases magiques pour clouer le bec à ceux qui s'obstinent à vouloir démolir piétiner réduire en miette mon rêve de métier.
Chez la dame on parle d'amour et de rencontres. On parle de ce jour de décembre, il y a cinq ans, où je suis tombée sur le blog d'une mère qui venait de perdre sa petite fille d'un vilain cancer. On parle de tout ce qui s'en est suivit, une association une course de cinq kilomètres terminée à plat ventre mais terminée un petit filleul bouclé, et la dame dit que ça vaut tous les matins à traîner des pieds en allant en stage et les nuits de garde à s'endormir debout.
Chez la dame je m'arme.