L’idée que la mort pouvait
survenir à n’importe quel instant s’est ancrée dans ma chair lorsque j’ai
franchi la porte de cette chambre de soins palliatifs, celle juste à gauche
après la salle de repos où on avait passé la nuit avec mes cousins. Depuis
plusieurs années elle était là, tapie dans un recoin, tue par les montagnes de
mauvaise foi que je m’efforçais de déployer pour tromper mon père qui avait
peur, ma mère qui avait peur et mon frère qui refusait catégoriquement
d’entendre le mot hôpital prononcé à table. Et puis me tromper moi, évidemment.
Parce que ça n’était pas possible, pas imaginable concevable supportable de se
dire qu’elle aurait pu mourir. Qu’une fois, peut-être, après l’une de ses
chimio, elle aurait pu rester au fond du petit lit blanc à barreaux, enfoncée
dans le matelas trop mou et noyée sous les couvertures siglées APHP. Je n’ai
réalisé avoir accepté l’idée que ma mère aurait pu mourir d’un des deux cancers
qu’elle a eu en deux ans, et qu’elle puisse encore en mourir aujourd’hui, que
lorsque j’ai vu la mort sur le visage de son frère, dans cette chambre de soins
palliatifs, celle juste à gauche après la salle de repos. Alors oui, c’était
donc vrai, le cancer pouvait les emporter, même eux. La vie se permettait de
les laisser perdre le combat. Le quotidien devrait pour de vrai exister sans
eux.
C’est laid la mort, les dernière
heures d’agonie, les visages déchirés de larmes. Ce sont des images qui restent
toujours dans un coin de cœur, comme plantées avec un gros pic rouillé qui déchiquète
un peu plus les tissus à chaque fois que je croise un patient qui a la même
maladie que lui, ou une maman de cinquante-cinq ans qui meurt un soir de
février en laissant derrière elle ses enfants. J’ai serré mes dents fort comme
jamais quand le chef a annoncé à cette fille de vingt ans que son père, celui
qui encore ce matin se disputait avec elle, était désormais médicalement
complètement de manière certaine et
définitive mort. Genre mille fois plus fort que lors des consultations
d’annonce d’oncologie-pédiatrique. Parce que j’ai la trouille. Je pue la
terreur.
(j'avais écrit ça en janvier, me promettant de ne jamais le montrer, et puis comme il s'avère que cinq mois sans cancer dans ma famille ça faisait un peu long pour la vie et qu'il est donc de nouveau d'actualité, j'ose)