dimanche 20 octobre 2013

Ouvrez la parenthèse important mais pas grave

A ma droite la bougie Hibiscus Pourpre brûle lentement. Sur mon bureau le livre d'oncologie gît sous une pile de papiers, attendant que je daigne parcourir de nouveau ses pages. Le problème avec l'oncologie, c'est qu'elle est déjà bien trop présente dans ma vie au quotidien pour que j'ai envie de me plonger dans ses subtilités. Le problème quand on est en médecine et que chacun des membres de sa famille rencontre le crabe l'un après l'autre c'est qu'on est celle qui doit rassurer, celle à qui on montre un compte rendu de bilan d'extension entre le fromage et la mousse au chocolat et qui croise les doigts et répète dans sa tête pourvu que je ne lise pas métastase cérébrale pourvu pourvu pourvu, celle qui ment à la question mais il va guérir ? parce que ce n'est pas à elle de toujours annoncer les mauvaises nouvelles, celle qui parfois sait et ne voudrait pas savoir. & celle à qui on en veut, souvent, d'avoir dit la vérité. 
Le problème avec médecine ce sont aussi ces dimanches après-midi ensoleillés, ceux où le froid parisien pique les joues mais les rayons font cligner les yeux, ceux où on aimerait se promener le long de la Seine en amoureux avant d'aller se réchauffer les mains autour d'une pâtisserie ou de pancakes géants, mais qu'on passe toute seule devant ses livres en compagnie de la bougie Hibiscus Pourpre pour se donner du courage. On apprend finalement à aimer les soirée pluvieuses-thé fumant à lutter pour ne pas s'endormir devant la bonne douzaine de traitements à apprendre (avec leurs effets secondaire, pour le fun) parce que même les gens avec une vie normale ne peuvent pas tellement faire mieux à ce moment là.


dimanche 6 octobre 2013

Combien pesait ma peine

Si je sais bien qu'on ne doit pas s'attacher à ses patients je n'ai pas réussi à chasser de mes pensées la vision de ce tout petit dos violet, violet d'hurler de pleurer de supplier à sa façon qu'on arrête de l'emmerder avec nos examens, ce tout petit dos de ce tout petit garçon qui n'avait rien demandé d'autre que de naître et qui s'est retrouvé branché à bien plus de fils qu'il n'avait d'heures.

Si je sais que c'est moi l'enfant et elle la mère je ne peux pas rejeter complètement ce rôle qu'elle me demande d'endosser pour la rassurer protéger, être celle qui explique et qui sait alors que je ne sais r-i-e-n. Et que j'ai peur, moi aussi. Quand elle pleure à table et que je voudrais crier je lui dis doucement tous les arguments que j'invente à mesure pour la convaincre que non non, la maladie ne revient pas. Mais je n'en sais r-i-e-n.  

Si je sais qu'il m'aime, si il l'a dit, à quoi bon s'aimer si on ne peut pas imaginer un lendemain un tout petit peu plus loin sous prétexte qu'on n'a que vingt-trois ans ? Ça compte pour du faux, l'amour, à vingt-trois ans ? 

Parfois, le chocolat chaud à l'amande ne suffit plus au dimanche après midi. 

jeudi 3 octobre 2013

A rire ou à pleurer, du moment qu'on en vit

Le sourire est apparu derrière mon masque quand j'ai vu sur l'horloge du bloc qu'il ne me restait plus que quelques minutes à passer là, irrépressible. Quand j'ai eu fini de faire le dernier nœud du dernier point je n'ai pas arraché ma casaque tout de suite, j'ai d'abord voulu profiter un instant de la satisfaction qui m'envahissait d'avoir fini (f-i-n-i) et de la litanie qui inondait ma tête plusjamaisplusjamaisplusjamais. On a fait une photo-souvenir de moi en stérile, avec seulement les yeux qui dépassent, et quand j'ai retrouvé S. dans le couloir on riait comme jamais. Les chirurgiens ne devaient pas en revenir de voir ces deux filles sourire autant et même esquisser une petite danse dans le vestiaire, ces deux filles enveloppées d'un manteau bien terne et renfermées pendant les quatre mois passés avec eux si joyeuses à l'idée de leur dire au revoir. Juste avant de passer la porte pour retrouver le grand air un interne m'a dit que vraiment, on allait leur manquer, quand même. Juste pour voir, pour être sure que je ne les sous estimais pas, je lui ai demandé s'il savait comment je m'appelait. Eh bien non, je ne les sous estimais pas. Vingt deux semaines à se voir presque tous les jours et il ne connaissait pas encore mon prénom. Allez, bon vent !

J'ai fait contre mon gré des incursions de l'autre côté de la relation soignant-soigné et ça me terrorise. Je découvre les mots que parfois les docteurs lancent comme des bombes qui éclatent juste au fond de la gorge, font remonter la boule noire d'angoisse et déposent des larmes au coin des yeux.
Alors comme toujours lorsque j'ai peur j'essaie de maîtriser en vain les choses maîtrisables. Il faut que tout soit droit carré et bien rangé sur mon bureau, je me réfugie dans le grand lit blanc pour imaginer en détails combien de pages par jour je vais devoir apprendre pendant combien de jours et combien de semaines avant les partiels avant le concours avant la fin, je compte et recompte les matières les feuilles les heures les arrêts de métro, et je sais bien que tout ça n'est pas normal, mais si ça me permet d'empêcher cette angoisse d'engloutir tout mon cerveau alors tant pis. 
Je suis entrée en cinquième année officiellement il y a quelques jours, et j'essaie tant bien que mal de continuer mon chemin sans (trop) vaciller. Au nouveau stage il fait chaud et moite et mes mains tiennent des tout petits doigts, massent des tout petits pieds, écoutent des trop petits cœurs battre. Je bois des litres de chocolat chaud à l'amande quand mes cours se brouillent devant mes yeux et j'imagine des week end loin, à deux.