samedi 30 mars 2013

Quelle aventure, quelle aventure

Il est sept heures et  le réveil sonne sans que j'ai eu l'impression de dormir une minute. Peu importe le ciel gris, peu importe le froid la bruime le tram bondé, dans mon casque je révise La Superbe.
Il est neuf heures trente et il m'en reste trois avant de pouvoir m'enfuir de cette salle glacée. Au bloc j'ai appris à attendre. La patience qu'on découvre en laissant s'égrainer les minutes les unes après les autres, les yeux rivés sur l'horloge murale. Alors je pense, j'imagine, j'organise, j'invente. Je pense à Elise près de qui j'aimerais être pour rendre une autre attente bien moins longue, j'imagine tout ce que je ferai un jour bientôt j'espère, Barcelone, des crèpes au miel, une déclaration, j'organise mon travail en sachant qu'en rentrant chez moi je n'aurai qu'une envie [dormir] et que donc le planning [d'hépatogastro] passera à la trape, j'invente des plats dans les moindres détails pour ne pas m'endormir. 
Il est midi trente et j'arrache le masque qui m'étouffe, laisse mes cheveux sortir de cette casaque verte trop serrée. Pour la minute gourdasse je mets mon vernis-confetti dans le vestaire - je n'allais quand même pas aller à un concert les ongles transparents ! Je retrouve mes copines qui parlent des partiels avec angoisse, et je crois que je suis un peu à l'écart avec mes idées de voyages, ballades à Paris & retrouvailles. Depuis mai je n'ai plus peur devant mes copies, depuis mai je ne me laisse plus abattre par la petite voix qui dit tuvastoutrater, depuis mai je ne marche plus, j'avance
Il est quinze heure et je m'engouffre dans le métro avec cette fille que je ne connais presque pas. Paris à travers ses yeux, les miens à la recherche de jolies choses à lui faire découvrir. On glousse devant Mollard, on fait une tonne de photos ratées, on a les jambes lourdes mais on enchaine les magasins, encore un, juste un dernier. Elle me laisse à la grande gare le sourire aux lèvres. 
Il est dix-neuf heures et je retrouve la fille qui m'a fait aimer Benjamin Biolay pour aller le voir, lui, en vrai. Depuis le temps qu'on en parle. Je me rends doucement compte que c'est pour de vrai, que c'est ce soir, et que c'est complètement fou-fou-fou. Au premier rang je crois que je croise son regard et elle me crie au milieu de la chanson "c'est bon, tu peux mourir tranquille !". Les frissons qui me parcourent même les jambes, ses yeux qui brillent et la boule au fond de la gorge qui explose à la dernière chanson, cette chanson. 
Il est vingt-trois heures trente et mes bottes claquent sur le trottoir. Dans le métro les regards s'égarent sur la feuille que je tiens fermement dans ma main - les deux seules filles de la salle à avoir eu la liste des titres - et j'ai envie de rire à gorge déployée pour laisser sortir tout ce bonheur. Je marche vite dans Paris glacial, le long des quais j'ignore les voitures qui ralentissent bien trop près de moi pour trouver enfin un taxi qui me ramène à la maison. En passant près de la tour Eiffel elle se met à scintiller. Sur la Seine, à travers les vitres du taxi, dans mes yeux, les paillettes. 

Il est minuit. 

mardi 19 mars 2013

Et là y'a un coeur dessiné au stylo bille

Je tire mes rideaux les yeux à peine ouverts et, enfin, un rayon de soleil. Alors on dirait que c'est l'été, et la radio qui parle de pluie sur toute la France aujourd'hui, je ne l'écoute pas. Je saute à pieds joints les dernières marches de l'escalier, j'enfile mon snoodàpetitespaillettes et j'essaye d'attraper le bus. J'aime bien être mélangée à ces gens qui partent travailler si tôt le matin, oui, si tôt beaucoup trop tôt, et je m'amuse à leur imaginer des vies - le grand monsieur qui fait éclater de rire le tout petit bébé et qui garde le sourire aux lèvres jusqu'à son arrêt, cette dame très chic et trop maigre que je croise souvent, le monsieur roux aux toutes petites lunettes est ce qu'il est marié ?, la fille qui s'est maquillée en deux temps trois mouvements en face de moi et que j'observais fascinée par sa dextérité. 
Dans la journée on me sourit, on me dit merci et je m'en étonne, et je m'étonne d'être étonnée. J'ai déjà laissé derrière moi quelques idéaux sur l'hôpital et je n'en attends plus autant des gens qui m'encadrent, je prends simplement ce qu'ils veulent bien me donner. A l'hôpital et dans la vie, d'ailleurs. J'aimerais tellement enlever cette idée qui revient si souvent, trop souvent, qu'on ne m'aime pas. Mais elle reste bien accrochée, au creux du coeur et me dicte ne t'accroche pas n'en demande pas trop tu vois elle ne t'aime plus et c'est normal arrête d'esperer une réponse ça ne viendra pas, plus. 
Quand le service se vide c'est le moment de raccrocher ma blouse au porte manteau et de retrouver mes baskets. J'aime rentrer chez moi et savoir qu'il sera là, je ne sais pas à quel moment mais après tout, est ce que c'est si important maintenant ? Il me propose un restaurant surprise et des massages illimités pour se faire pardonner, et je ne peux que lui sourire, évidemment, parce que je crois que je n'ai jamais réussi à lui en vouloir pour de vrai, à 10, jamais. On se serre, on se colle, et je crois qu'on avance l'un à côté de l'autre pour la première fois même si bien sur il y a quelques faux pas. J'aime rentrer et savoir que je vais me retrouver, aussi, et ça c'est nouveau. La tisane dans mon lit, les deux oreillers pour moi et le bain chaud, même si dans l'eau je ne peux m'empêcher de scruter les courbures et les arrondis que je voudrais gommer, estomper un peu. Alors je fais des comptes dans ma tête, ça mouline, et je finis toujours par oublier, jusqu'au prochain bain.

L'autre jour au lieu d'aller en consultation on a grimpé au sommet de l'hôpital depuis lequel on voyait tout Paris, La Défense-Montmartre-Tour Eiffel-Tour Montparnasse, il faisait beau et les toits étaient encore recouverts de neige, et je me suis dit que je ne m'en lasserai jamais, jamais. Tant que je me réjouirai à l'idée de prendre la ligne 6, tant que j'aurai le sourire aux oreilles quand la rame sort du tunnel et qu'on découvre la Seine, tant qu'aligner des pas sur les quais me gonfle le coeur, tant que je me sens bien, ici. 


lundi 11 mars 2013

Double incidence

Brune, pâle, cernée.
Elle a avalé 54 cachets ce matin. Elle y pensait depuis longtemps, des problèmes familiaux, l’impression d’être un boulet pour les autres, l’envie de ne plus souffrir.
Elle a 20 ans.
Je suis en face d’elle. C’est moi qui tiens son dossier médical où sont écris les lettes T.S..
Je suis en blouse blanche, elle se noie dans la chemise bleutée de l’hôpital.
Même âge, même taille.
Elle est vite partie en consultation psy, j’ai continué à lire d’autres dossiers.
Sans oublier la chance que j’ai d’être de l’autre côté.

***

Il nous parle de son courrier qui met trop de temps à arriver.
De sa fiancée, du beau temps.
On regarde ses pansements, vérifie ses constantes.
Lui explique le déroulement d’un prochain examen.
Elle soulève le drap pour vérifier ses escarres.
Sous le drap, il n’y a rien.
Pas de jambe.

Un instant de déconcentration, et puis on se raccroche à ses paroles. Plus de jambes, mais et alors ?

***

Elle a une pyélonéphrite. Elle se tord de douleur, seule dans son box des urgences, attendant son amoureux qui doit arriver dans l’après midi. Elle souffre mais elle reste polie, me souriant quand je passe devant elle, répondant à mes questions de mini P2 qui demande, interroge, ausculte, mais n’apporte aucune réponse.
Soudain, je l’entends pleurer. Pleurer sans s’arrêter, toutes les larmes de son corps.
Le chef de service, qui d’habitude ne sort jamais de son bureau, lui a rendu visite.
C’est de sa faute à elle si elle est malade lui a-t-il dit. Elle fait n’importe quoi avec son corps. Elle sera malade toute sa vie, et va mourir du sida, ou de l’hépatite C. Inconsciente, négligente, irresponsable. Tant pis pour elle.

Vraiment, quelle idée d’avoir une pyélonéphrite ET des tatouages.

***

28 ans,
Roux, très pale, de grands yeux marrons mouillés.
Alcoolique.
Un foie tellement gros que même moi, petite p2, je l’ai senti.
 "Vous devez encore rester à jeun monsieur, au cas où on doit vous faire des examens complémentaires."
 "Mais arrêtez de m’embêter avec vos examens ! Donnez moi un cachet qui répare le foie et je rentre chez moi guéri !"
Monsieur, c’est à dire que… ce n’est pas aussi simple.

***

Homme d’une quarantaine d’année, dépressif, alcoolique chronique, gonflé, rouge.
Il pleure.
4 grammes d’alcool dans le sang à 10h30 du matin.
Polonais, il ne comprend pas ce qu’on lui dit. On essaye de lui faire un ECG, il lève le poing. Agressif, il a peur, il est seul.
« Ça va aller monsieur »
Il me tend la main.

(portraits écrits il y a 2 ans, lors de mes premiers stages de p2
Drôle d'effet de relire ça... )