La douleur, d’abord, quand je vois le chiffre apparaître
devant mes yeux. La douleur sourde qui part du ventre et s’étend de haut en
bas, jusqu’au bout des orteils, et l’impression que tout (me) brûle. Non, non,
c’est pas possible, je murmure, évidemment, et évidemment que si, c’est bien
mon nom, là, à côté de ce chiffre là, ce chiffre bien trop bas, ce chiffre que
je n’avais même pas imaginé, ce chiffre qui va m’accompagner pendant les
prochaines années, et qui pourtant ne représente rien du tout du travail
accompli. Classement de merde. Se lever engourdie, descendre quelques marches et dire à voix basse j’ai raté à ma mère, ne pas lui laisser le temps des paroles
réconfortantes, remonter en courant me prostrer dans ma chambre et laisser
arriver la colère. L’évidence qui s’impose comme un mécanisme de survie – tant
pis je ferai médecine générale à Paris - je ne quitte rien, je ne renonce pas,
je me réoriente juste, c’est pas grave, c’est pas grave. Comme dans du coton
faire semblant de fêter ça, fêter quoi ?, boire du champagne et manger des
sushis, lire la tristesse dans les yeux de mon amoureux et détourner le regard,
faire comme si ça avait des avantages de se louper, en rire même. Si vous
saviez comme j’aurais voulu les rendre fiers.
Et puis le lendemain, laisser la vague revenir (ou se la
prendre en pleine gueule). Le silence de ceux qui devraient être là, les mots
maladroits de ceux qu’on n’attendait pas, les reproches – déjà -, alors passer
la journée à grignoter de la patacookies pas cuite, hagarde, la radio en bande
son couverte par la chouinerie. Se répéter en boucle tout ça pour ça et jurer formellement de ne jamais plus encourager
personne à travailler avec acharnement puisque ça ne sert à rien. Réaliser que mon idéal de
petite-vie-parfaite n’aura pas lieu, qu’il va falloir réinventer, réfléchir,
faire autrement. C’est pas grave, ou peut être que si quand même.
Et puis une semaine après, entendre des mots qui d’un coup
font pencher la balance. Oui, du jour au lendemain. Si je le veux je peux
partir dans une autre ville, si petite et pluvieuse soit-elle, faire la
spécialité dont je rêve depuis que j’ai commencé médecine. Si je le décide je
passerai mes journées à faire quelque chose que j’aime – et mes nuits à chialer
d’être seule et loin. Celui qui bouscule l’ordre établi ne parle pas de la
province – si chouette - ni de « ton rêve » - « tu vas pas
l’abandonner quand même ! », mais de place qu’on décide de laisser au
travail dans la vie. Il n’y a pas de à
tout prix, il y a seulement celui qu’on décide de donner à chaque chose. Et dans mon tableau de plus et de moins, le mot pédiatrie est écrit en police 30 et il semblerait qu'il compense tous les abandons auquel il est associé.
Et puis un mois après la douleur s’est un peu estompée – pas
la colère. Je conchie ce système de classement mais j’ai décidé de ne pas
accepter les tant pis. Je ne peux toujours pas mener ma vie comme je le
souhaitais mais je choisis de lui faire un pied de nez et de m’adapter à ce
qu’elle me laisse comme porte de sortie. Eh, je vais pas me laisser faire, t'entends ?
Ps : promettez-moi d’empêcher vos enfants de faire
médecine – à tout prix cette fois ;)
Pps : si vous vivez dans une ville de province petite
et pluvieuse n’y voyez là aucune insulte, et parlez-moi donc des salons de thé
charmants qu’on y trouve
Faire un métier qu'on aime, ça change tellement la vie (enfin ce n'est que mon humble avis), alors félicitations pour ce pied de nez et bravo pour ce choix! Et puis ce fichu concours est enfin passé, et ça aussi c'est du bon! Enfin je te promets d'empêcher tous mes neveux de faire médecine ;)
RépondreSupprimerIls te remercieront ;)
SupprimerJe ne sais pas trop comment tourner mon commentaire pour qu'il ne soit pas perçu comme fataliste ou quoi, mais je crois qu'il y a certaines choses dans la vie qui nous arrivent pour des raisons précises. Je ne sais pas si croire en ce genre de force « supérieure » est toujours bien accueilli (en tous cas, jamais sur le coup, c'est évident), mais moi je crois fermement que derrière chaque coup un peu dur du destin, il y a des jolies choses qui se cachent, les plus belles choses.
RépondreSupprimerAlors, je te souhaite vraiment de trouver la petite ville pluvieuse, tu y trouveras sans doute un fleuriste qui t'appellera par ton prénom, un boulanger qui saura si tu préfères le pain bien cuit ou pas, et un primeur qui aura des tomates qui goûtent la tomate.
Et je te souhaite aussi de réussir cette spécialité, parce que oui, comme a dit Cloc plus haut, faire le métier qu'on aime, ça change beaucoup la vie !
Et pour finir, je te fais une bise, parce que parfois, les mots sont pas terribles pour remonter le moral !
Tu sais la première étape prévue dans la petite ville ? Un tour de toutes les boulangeries pour savoir dans quel quartier habiter :)
SupprimerEn tant que belge je pense que je peux te répondre, dans les endroits qui ne sont pas "the place to be", pas touristiques, pluvieux and co, qu'est-ce que les gens s'amusent et sont chaleureux car ils se sentent chez eux et puis c'est tout, on finit par aimer ça;)
RépondreSupprimerça, tu vois, ça me donne envie d'y aller ! Un nid douillet et des voisins chaleureux, ça compte.
SupprimerJe rejoins Camille dans ses propos.
RépondreSupprimerEvidemment, tu n'as pas envie de les entendre ces mots mais je t'assure que, parfois, la vie joue à saute-mouton et nous égare pour mieux nous remettre dans le chemin choisi. J'espère de tout cœur que ça va aller pour toi, tes projets, tes envies, tes rêves et tes besoins.
Je t'envoie mille douceurs...
P.S: fucking classement
Je commence à accepter que la vie soit une coquine, et pas seulement une abrutie injuste... ;)
SupprimerMais la poste, dis-moi, elle passe dans cette petite ville de province ? Et le wifi ? Si les réponses à ces questions sont oui, je crois que le monde va pouvoir s'arranger pour que cette année passe à vive allure si tu veux mon avis.
RépondreSupprimerDe tout coeur avec toi, avec ces choix difficiles, suis ton coeur surtout !
La réponse est oui, aux deux questions ;) et tu as raison, ça et le train pas loin ça aidera beaucoup pour les quatre ans...
SupprimerSystème de merde qui fait que tu ne peux pas te réjouir d'avoir excellé car ça ne suffit pas pour atteindre ton rêve :-( Ta décision est prise alors pour la province ? C'est vrai que pédiatre c'est un bien joli rêve <3 Plein de bonnes choses à toi et bravo quand même parce que je suis sûre ce n'est pas accessible à tout le monde d'être dans le classement tout court ;)
RépondreSupprimerParfois, la vie nous présente aussi un chemin autre que celui que nous imaginions, et elle nous "déçoit en bien" comme disent les suisses ...
RépondreSupprimerC'est tout le mal que je te souhaite, car tes efforts méritent tellement d'être récompensés !
Garde toujours en toi la lumière et l'espoir <3
Ce métier est l'un des plus beaux au monde, mais nul ne sait sans s'y être frotté à quel point c'est difficile ni à quel prix on paye notre passion... Je suis interne dans une charmante ville de province pas très loin de Paris. Je viens d'une autre charmante ville de province et je rêvais d'aller faire mon internat de spécialité à Paris. Mon classement en a décidé autrement et tant mieux!!! Je suis bien mieux où je suis que noyée et submergée par la pression des grands hôpitaux parisiens. On sait tous que ce concours est injuste et débile, mais c'est malheureusement la règle du jeu... Et on a tous des moments où on a envie de tout plaquer, seulement quelques heures ou bien parfois une envie qui nous tenaille pendant des semaines... Et un jour on sauve vraiment la vie de quelqu'un ou alors on reçoit une carte du Portugal d'un de nos patients qui nous remercie pour nos bons soins. Et là on se dit que ça en vaut la peine, que le jeu en vaut vraiment la chandelle...
RépondreSupprimerJe suis ton blog (superbement écrit d'ailleurs) depuis un petit bout de temps et je croisais fort les doigts pour toi, pour que tu obtiennes ce que tu voulais depuis tant de temps. Même si le rêve ne s'accomplit pas à Paris, je te souhaite de trouver ton bonheur ailleurs. Je pense qu'il y a des choses qu'on regrette pour toujours, mais d'autres dont on se dit finalement qu'elles ont bien fait d'arriver. Et j'espère de tout coeur qu'il en sera ainsi pour ces foutus quatre chiffres...
J'avais laissé un commentaire sur ton blog un jour en disant qu'il fallait s'accrocher, que la vue était belle de là-haut. Maintenant, toi aussi tu peux la voir, te retourner sur tout le chemin parcouru et te dire que oui, malgré tout, malgré la vie qui fait sa coquine, tu peux être TRES fière de toi...
Je t'envoie plein de bonnes ondes et te souhaite un bon vent, une passionnante carrière et une jolie vie surtout! Prends soin de toi. Et profite bien ce ce doux temps qu'il te reste avant de débuter l'internat!
PS : Où cette magnifique photo d'arc-en-ciel a-t-elle été prise?
Oh mais m-e-r-c-i pour ce commentaire <3 Pour l'instant le constat est un peu amer, mais je sais qu'un jour la vue sera belle. Je garde chacun de tes mots pour les moments de découragement !
Supprimerps : près de Gap dans les Alpes, depuis le chalet de mon enfance :)
Je découvre ton post. Je ne peux que supposer ton immense déception... Mais je suis sûre que tu arriveras à t'inventer une jolie vie dans cette petite ville pluvieuse. <3
RépondreSupprimerParfois, il est des hasards heureux dans les endroits les moins glamour qui soient (tu sais de quels toilettes d'autoroute je parle :-) ) et sans doute de jolis destins dans des villes de province où tu n'auras qu'une envie: trouver le plus joli des parapluies.... Et La romance à distance a ses charmes -les retrouvailles sur un quai de gare....
RépondreSupprimerc'est la premiere fois que je vais commenter...
RépondreSupprimerj'ai eu ce choix il y a maintenant 11 ans (ça ne me rajeunit pas).... Quitter Ma ville,au soleil, au bord de la mer, pour faire ce qui m'avait poussé à faire médecine, la pédiatrie comme toi...
J'ai beaucoup réfléchi, avec le chéri également, et je suis partie à 300 km sans lui, sans personne...
Certes ce ne fut pas tous les jours faciles mais je ne regrette rien...
mais saches que quelque soit ton choix ce sera le bon, et tout est passionnant dans notre beau métier.
bon courage
C'est la première fois que je commente, j'ai découvert ton blog via un autre blog que je suis, et j'aime beaucoup ta façon d'écrire, ce que tu nous fais découvrir d'un métier que je ne connais que de l'extérieur, les émotions qui transparaissent...
RépondreSupprimerJe ne peux que tenter de te rassurer sur la petite (mais à partir de quand la ville est petite ? En même temps, s'il y a un CHU, c'est déjà que c'est une ville étudiante qui vit ! ) ville de province, d'où je viens. La douceur de vivre dans une ville de province, c'est prendre le temps de se rendre à son travail, c'est reconnaître les gens dans la rue, c'est bien sûr au moins un charmant salon de thé. C'est moins d'effervescence à toute heure du jour et de la nuit, mais c'est aussi un calme reposant... Bref, je suis sûre que tu y trouveras un rythme qui te conviendra, et d'autant plus qu'il suivra ton choix professionnel important !
J'aspire aujourd'hui à revenir dans ma petite ville de province natale l'avoir quittée pour trouver du travail à la grande ville (de province quand même), où décidément, je ne retrouve pas cette douceur de vivre, ce rythme de vie qui me convient.
J'ai bien peur que tout mon commentaire se soit effacé.. Je recommence ^^ Ainsi, confortablement installée avec ma tasse de thé j'ai lu tout ton blog. Dire que je suis bouleversée est un euphémisme! Ce post me rappelle d'autant plus ma propre déception lors des résultats malgré tous les sacrifices faits pour Medecine... Mais 1 mois et demi après cette publication nous allons finalement pouvoir exercer chacune la spécialité de nos rêves. Tu es une chouette fille (terme désuet^^) et je suis heureuse que tu puisse être médecin des touts petits tel que tu las rêvé! Les heures passées vissees au bureau sont déjà en train de rejoindre le passé et la vraie vie va enfin pouvoir commencer!
RépondreSupprimerHâte de découvrir tes nouveaux articles qui parleront de cette nouvelle ville, des enfants cassés que tu sauras réparer ou en tout cas rassurer.
On l'a fait et on peut être fières!
Isabelle/dentologue
Il y a tant d'enfants dans les petites villes pluvieuses qui ont besoin de toi
RépondreSupprimerIl y a tant d'enfants dans les petites villes pluvieuses qui ont besoin de toi
RépondreSupprimerC'est encore loin, pour moi, ce moment fatidique, alors je n'imagine probablement qu'un dixième de ce que tu as pu traverser pendant ce(s) mois d'acceptation. Mais en lisant les articles que tu as écrits par la suite, je me dis que tu as fait le bon choix ; celui de te lever heureuse d'aller travailler tous les matins. Félicitations pour avoir réussi à rebondir, et avoir eu le courage de t'accrocher à ton métier rêvé.
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