mercredi 18 juin 2014

A tes amours tes boréales

L’idée que la mort pouvait survenir à n’importe quel instant s’est ancrée dans ma chair lorsque j’ai franchi la porte de cette chambre de soins palliatifs, celle juste à gauche après la salle de repos où on avait passé la nuit avec mes cousins. Depuis plusieurs années elle était là, tapie dans un recoin, tue par les montagnes de mauvaise foi que je m’efforçais de déployer pour tromper mon père qui avait peur, ma mère qui avait peur et mon frère qui refusait catégoriquement d’entendre le mot hôpital prononcé à table. Et puis me tromper moi, évidemment. Parce que ça n’était pas possible, pas imaginable concevable supportable de se dire qu’elle aurait pu mourir. Qu’une fois, peut-être, après l’une de ses chimio, elle aurait pu rester au fond du petit lit blanc à barreaux, enfoncée dans le matelas trop mou et noyée sous les couvertures siglées APHP. Je n’ai réalisé avoir accepté l’idée que ma mère aurait pu mourir d’un des deux cancers qu’elle a eu en deux ans, et qu’elle puisse encore en mourir aujourd’hui, que lorsque j’ai vu la mort sur le visage de son frère, dans cette chambre de soins palliatifs, celle juste à gauche après la salle de repos. Alors oui, c’était donc vrai, le cancer pouvait les emporter, même eux. La vie se permettait de les laisser perdre le combat. Le quotidien devrait pour de vrai exister sans eux.

C’est laid la mort, les dernière heures d’agonie, les visages déchirés de larmes. Ce sont des images qui restent toujours dans un coin de cœur, comme plantées avec un gros pic rouillé qui déchiquète un peu plus les tissus à chaque fois que je croise un patient qui a la même maladie que lui, ou une maman de cinquante-cinq ans qui meurt un soir de février en laissant derrière elle ses enfants. J’ai serré mes dents fort comme jamais quand le chef a annoncé à cette fille de vingt ans que son père, celui qui encore ce matin se disputait avec elle, était désormais médicalement complètement de manière certaine et définitive mort. Genre mille fois plus fort que lors des consultations d’annonce d’oncologie-pédiatrique. Parce que j’ai la trouille. Je pue la terreur.


(j'avais écrit ça en janvier, me promettant de ne jamais le montrer, et puis comme il s'avère que cinq mois sans cancer dans ma famille ça faisait un peu long pour la vie et qu'il est donc de nouveau d'actualité, j'ose)

6 commentaires:

  1. continue, ce que tu écris est magnifique et fait du bien..

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  2. J'aimerais écrire que je comprends, mais ce serait un peu mentir, parce qu'évidemment c'est incompréhensible, "intraitable" intellectuellement comme évènement de vie. Mais ça résonne, et je suis émue de lire à quel point vos mains sont serrées. Quand on a d'aussi belles racines, un souffle de vie si fort, on a ce qu'il faut dans les poches pour se battre, même si c'est la "encore une fois" qui semble nous couper la chique.
    Je t'embrasse, et ta maman a une place dans mes pensées quotidiennes.

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    1. Je sais combien ça résonne chez toi, & j'aurais aimé avoir des mots si juste quand tu as du te relever. Je me raccroche à mes racines alors, merci <3

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  3. Parce qu'on ne peut pas imaginer sa mère qui meurt, jamais. C'est impossible, quel que soit notre âge. Tout simplement.
    <3

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  4. Et à la fin d'un coup de fil, entendre que le plus jeune des frères, mon parrain, a "un truc" à la gorge. Qu'il ne peut plus déglutir, plus parler, qu'il ne peut plus manger, qu'il a une sonde, et qu'en fait, "y'a aussi un truc au cerveau".... Je la vois venir de loin, la grande faux, la douleur des yeux rougis de larmes... Et j'essaie, ici aussi, l'idée d'apprivoiser que ce pourrait être mon papa plutôt que son frère, qu'après tout, il vit avec une vessie reconstruite, un double pontage coronarien. Cela renvoie aussi à sa propre mort quand on est maman. Peut-on imaginer leur vie sans nous? Courage à toi et à ceux touchés de près par ce qui nourrit notre peur.

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    1. je pense fort à toi Anne Laure, et à ton papa qui va devoir vivre cette douloureuse expérience.

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