vendredi 6 décembre 2013

Moi la nuit je repense au soleil

Je garde ce stage en moi comme un grigri placé juste sous le cœur, à l'endroit où les soirs d'angoisse j'ai l'impression que quelqu’un me piétine, petite boule de coton chaude et duveteuse pour lutter contre ce qui pique. Il y a un an j'étais en gynéco et alors qu'on sortait des bébés du ventre de leur mère et qu'ils disparaissaient de la pièce encore humides je rêvais de sortir en courant et de suivre les pédiatres, au lieu de rester là à refermer, recoudre, réparer (essayer). Il y a un an je pleurais silencieusement dans le bus qui me ramenait chez moi après des gardes à devoir me débrouiller aux urgences devant des dames qui hurlaient, saignaient, criaient ; cette année le soir où j'ai vu allumées les premières décorations de noël dans ma rue je rentrais le cœur gonflé de fierté d'avoir fait ma première vraie prescription toute seule. Je me suis attachée à des bébés, ces minuscules vies qui ne peuvent même pas pleurer car intubés ou téter mon doigt car trop prématurés. Je n'arrive pas à expliquer pourquoi ces bébés là en particulier, ils ne sont ni plus gros, ni plus mignons que les autres, mais quand on annonçait au staff qu'il étaient montés dans les étages vers la sortie il y avait mon cœur qui s'accélère et mes joues qui rosissent. J'ai vu des mères (oui, surtout des mères) venir chaque jour depuis 31, 59, et même 85 jours de vie de leur bébé sans pouvoir lui mettre les petits habits qu'elles leur avaient achetés, sans pouvoir le montrer à leur proche ni même aux frères et sœurs, je les ai vues danser de joie quand une ligne de la prescription disparaissait et que la longue liste des médicaments diminuait. J'ai vu des vrais sourires aux oreilles quand on annonçait une sortie après des mois de réanimation ou qu'on avait enfin les résultats d'un IRM qui montrait que cet enfant là aurait un cerveau normal même en étant né en état de mort apparente. J'ai vu un petit garçon se réveiller quand sa mère passait la porte de l'unité alors que tout notre examen de docteur ne l'avait pas fait ouvrir un œil, un autre se calmer à la seconde  même où mes mains le soulevaient de son berceau, une petite fille pleurer dès que son voisin de chambre était dans les bras de ses parents parce que sa maman à elle n'était jamais venue. J'ai vu la maman de E., mon tout petit bébé préféré qui est arrivé dans le service le même matin que moi mais qui ne sera pas sorti quand je le quitterai, qui ne sera pas chez lui à noël. Un jour j'ai osé aller lui parler et lui dire ce que deux mamans m'avaient conseillé ici, depuis elle me sourit chaque matin et c'est moi qu'elle regarde quand on lui explique les traitements de son enfant. 
Alors qu'on discutait avec un garçon de nos stages respectifs et de leur utilité pour la préparation de l'ECN, moi reconnaissant que ce n'était pas là que j'avais révisé le plus d'items, est sortie de sa bouche cette phrase qui m'a bousculée "mais ce stage il est vie-utile, pour toi". Vie-utile. Il a ouvert les barrières et fait entrer la lumière sur le chemin qu'il reste a parcourir. Il a éclairé l'horizon, là bas, dans 18 mois. 

arriver à l'hôpital chaque matin sous le ciel mauve

(tu vois Marion, avant noël, comme promis :))

6 commentaires:

  1. Je ne saurais pas vraiment dire pourquoi mais je pleure en te lisant. Peut-être parce que tes mots sont tellement justes que je les vois ces petites vies dans leurs berceaux de verre. Et ça m'émeut.

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  2. Je sais pourquoi mes yeux sont tout embués d'émotion. C'est parce que la maman qui se réjouissait de la ligne en moins, de la sonde disparue, de l'arrivée du premier body, de l'ictère maîtrisé, de l'examen rassurant, celle qui pleurait quand on lui disait quoi que ce soit de gentil (surtout Rosemarie, avec la voix la plus douce du monde) c'était moi, il y a 8 ans. Dans 11 jours, on fêtera le jour où Madeleine est sortie des murs de nénonat. On se souviendra du froid, sur le parking, et du siège auto à attacher -tels la poule devant un bâton, et de ce sentiment grisant de liberté. J'espère que la maman de E. connaîtra bientôt cette libération, ce soulagement. Et que tu continueras de collectionner les moments précieux "vie-utile". (et de nous les livrer avec tant de coeur dans les mots...)

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    1. Si tu savais combien j'ai pensé à toi en allant lui dire les premiers mots à la maman de E. ... Merci de m'avoir donné cette force, parce que nos conversations du matin autour du petit berceau mettent du baume au coeur.

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  3. Merci! Comme d'habitude: touchée-coulée! :)

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  4. Au milieu des machines, au milieu des items, il y a les mots qui détruisent tout, et puis il y a tes mots et ta douceur, et puis une main posée, des doigts qui appuient un peu... Ne perds jamais toute cette humanité qu0il y a en toi, ne la laisse pas s'écraser sous deux classeurs de fiches.

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  5. J'ai été une de ces mamans, dans un autre hôpital ... alors merci.

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