vendredi 28 juin 2013

Un sourire sous le ciel défait

Cette nuit là vers deux heures du matin je me suis entendue dire à une patiente "il ne faut pas venir dans cet hôpital pour les urgences traumato", et tout de suite, pouf, un coup dans le bide. En vrai, non, il ne faut surtout pas venir dans cet hôpital là. Les chefs des urgences ne vont pas voir les patients et ce sont les externes qui doivent faire les transmissions ordres-du-chef vers patient-paumé-qui-attend-son-diagnostic, rares sont les médecins qui sortent de leur lit pour regarder les radios autrement que sur l'écran de leur téléphone et un patient en box de déchocage peut y rester trois heures sans que personne ne s'inquiète de savoir si il a été vu. Mais voilà, est ce que j'ai le droit de dire ça à un patient, de juger des gens bien plus avancés que moi en médecine, de m'exclure de cette hiérarchie bien huilée où jamais, au grand jamais, on n'ose aller contre son chef ? Je ne sais pas ce qui est bien, mais je n'ai plus envie d'accepter ces petites maltraitances. Avec A. on se demandait où était notre place pendant la visite du matin, celle où on entre dans les chambres à huit ou neuf pour décoller le pansement d'une cicatrice et dire trois mots au patient. Je crois que toutes les deux on l'a choisie, bon gré mal gré, et tant pis pour ce que certains chefs en pensent. Notre place c'est remettre la couverture sur les jambes de celui qui a froid, c'est repousser la porte de la salle de bain pour laisser le voisin faire sa toilette, c'est remettre la table du petit déjeuner et sortir en dernier derrière le balais des médecins.

J'expérimente un nouveau stade de fatigue chronique, il faut croire que les neuf mois d'externat commencent à peser sur mon dos. Je n'entends désormais plus mon réveil, moi qui bondissait hors du lit, je suis allée dans le mauvais service un matin, marchant machinalement sans regarder où mes pas me portaient et je me suis endormie au bloc, debout, les deux écarteurs bien serrés entre mes mains. Pouf, ma tête qui tombe sur ma poitrine, et aussitôt la relever, soudain très réveillée, de peur que quelqu'un m'ait vue. Mais j'ai trop besoin de ces moments en tête à tête avec un livre [je me suis remise à lire, incroyable] ou une série [et ne parlons pas des choix de séries] pour me coucher tôt. Hier soir j'ai même poussé jusqu'à aller à un restaurant où on mange en plein Paris au milieu des oliviers et du chant des grillons. Celle qui m'accompagnait m'a dit "et à part médecine, c'est quoi tes projets ?" et, évidemment, je n'ai pas pu répondre, alors ce n'est vraiment pas maintenant que je vais me remettre à dormir parce que j'en veux, des projets. Là tout de suite, ils se résument à m'octroyer quatre jours de vacances sans ouvrir un livre avec des radios où je ne vois rien, sans planning de garde à compléter, sans réveil. & ça va être b-i-e-n.



6 commentaires:

  1. Cette semaine on m'a dit : " tu vas un peu trop parler aux patients l'après midi alors qu'il y a des choses à faire. "
    Cette semaine j'ai réussi à dire : " oui, et je ne vous dirai pas que je suis désolée de ça ."
    On progresse :)))

    (bon sinon GoT, t'as fini la saison 2 maintenant ? :p)

    RépondreSupprimer
  2. Il a l'air sympa ton restaurant (à défaut de ton hôpital...)
    Bon, j'allais te demander l'adresse en me réjouissant d'être parisienne pour encore 2 semaines, mais j'ai juste oublié que les pauses resto n'étaient pas trop prévues dans le programme chargé du boulot...
    Bon allez, juste pour le plaisir, c'est quoi ce chouette resto?

    RépondreSupprimer
  3. J'aime beaucoup beaucoup beaucoup le titre que tu as choisi.
    Profite bien de tes vacances ma jolie.
    Et quelle question que celle de savoir ce que l'on peut ou on ne peut pas dire, où s'arrête notre intégrité, où commence notre "devoir de réserve"?
    Je n'ai pas la réponse malheureusement, je suis de celles qui en disent trop je crois.
    Bises

    RépondreSupprimer
  4. Bon... avec des pauses déjeuner d'une heure maxi, transport compris... ça fait un peu loin, depuis la place d'Italie, tant pis! Mais la photo est très appétissante. Et pour les grillons, j'attendrai de regagner mon sud! (et mon contenterai du sympathique marteau-piqueur et des sirènes des ambulances vers la Pitié-Salpétrière. Bises!

    RépondreSupprimer
  5. Je viens de découvrir ton joli blog. J'aimerai juste te dire : garde ce regard que tu as sur les malades, ces petites attentions que tu as pour eux. Je sais que ta place n'est pas facile, je vous ai souvent observé, vous les externes qui êtes parfois transformés en larbin mais pas toujours, hein ! Un bon médecin est aussi celui qui a un coeur !!!! Au fait, je suis infirmière ..;
    Sinon tu as bien raison, n'oublie pas de vivre.

    RépondreSupprimer