lundi 10 juin 2013

Être celle armée de joie

Le réveil à cinqheuresquarantecinq est toujours une torture. J'ouvre les rideaux et il fait à peine jour, jour bleu-pâle depuis peu et ça me donne la force de sortir de mon lit après les nuits entrecoupées de réveils à cause de cette boulauventre de stress. Ce stress qui s'insinue entre mes pores, qui s'évacue dans mes larmes et laisse des traces rouges sur ma peau, juste là sous mon collier nuage. Je n'ai pas peur mais je stress, pour rien et surtout pour tout, est ce que c'est possible ? Je dois l'avouer, le stage que je redoutais tant s'avère n'être finalement pas si pire. Il faut croire que cela tient vraiment aux internes parce que mes copines m'en avaient parlé comme d'un enfer. Il suffit d'un bonjour, d'une porte tenue, d'yeux qui me sourient au bloc entre le masque et la charlotte pour m'encourager quand je fais des points mal assurés. En consultation un monsieur me glisse entre deux radios "et gardez votre sourire, mademoiselle" après m'avoir fait rire à parler du schnaps turque qu'il veut absolument faire goûter au médecin qui l'a opéré et lui a rendu un genou qui se replie et redéplie à son bon vouloir. Je souris parce que j'aime les histoires de gens. La raison de leur venue aux urgences qui cache une tout autre inquiétude, les petites anecdotes qu'ils glissent entre deux motifs de consultation, les quelques phrases prononcées sur le pas de la porte juste avant de partir, les histoires de famille, les histoires de régions, les confidences partagées. Souvent quand je déjeune avec des gens qui ne sont pas externes ils me demandent de raconter les patients et je crois que je pourrais en parler des heures [sans briser le secret médical, évidemment]. J'ai une tendresse infinie pour ces parenthèses de vie que j'ai l'occasion de partager, juste un instant.

Alors que deux jours sans stage s'annoncaient j'ai eu envie d'aller embrasser mon filleul. J'ai demandé son avis mon père qui m'a dit que c'était une petite folie mais qu'après tout pourquoi pas, j'ai appelé A. pour l'entendre prononcer qu'il pensait que j'en étais capable, j'ai écarquillé les yeux quelques minutes devant mappy qui faisait défiler les centaines de kilomètres que j'allais devoir conduire toute seule, j'ai mis des livres dans mon sac et je suis partie. Le GPS m'a fait éviter l'autoroute et doubler mon temps de trajet et alors que je traversais des petites routes de campagne bordées de champs de coquelicots et de colza, la radio volume vingt pour me tenir éveillée, je me suis dit que je touchais du doigt la pleine satisfaction. Les chansons qui passaient faisaient écho à mes années lycées, le soleil me forçait à plisser les yeux à travers les lunettes, j'allais pouvoir entendre mon filleul dire ses premiers mots. Il restait trois heures de route alors que j'aurais du en mettre deux en tout, oui, et alors, est ce qu'on compte ses heures pour arriver au bonheur ?


& merci, merci, merci pour tous vos petits mots sur l'article précédent. Je n'ose pas répondre que je suis touchée à chaque fois, ça ferait un peu niaise hein ?, mais à toutes, merci. 

9 commentaires:

  1. QUOTE OF THE DAY: "Est-ce qu'on compte ses heures pour arriver au bonheur?" C'est magnifique.

    Grandir c'est, aussi, apprendre la patience nécessaire en toute chose.

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  2. Quel enchantement de te lire, toujours. J'aime particulièrement le récit de ton road trip. Et Mentealeau a raison, "Est-ce qu'on compte ses heures pour arriver au bonheur", c'est superbe.

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  3. Je pleure toujours autant...

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    1. Pour tous les autres qui ne font pas médecine: Combien tu brilles décrit TRÈS bien la vue de l'"intérieur"! ;)

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  4. Tes mots sont beaux.
    La joie, tu en fais plus et mieux qu'un simple bouclier, tu la recueilles et la distribues autour de toi, tu l'écris et la partages.

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  5. Je déteste les GPS , mais par contre j'adore ton blog !
    J'y passe régulièrement depuis quelques semaines. Il est bien là, dans mes marque-pages "blog coup de cœur" . Et je ne suis pas prête de le supprimer !

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    1. On pourrait monter le club anti-GPS, tiens, je suis sure qu'on serait nombreuses !

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  6. Aubergine Divine29 juin 2013 à 12:18

    Je connais ce joli bracelet <3

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