dimanche 5 mai 2013

Un pantalon vert en papier taille M, un haut vert en papier taille S, mes indispensables bas de contention tout sauf sexys, un débardeur caché sous le tout pour ne pas trop grelotter, les crocs oranges taille 42 puisqu'il ne restait qu'elles, une charlotte verte qui étouffe mon chignon, un masque bleu attaché pas trop serré pour ne pas étouffer, ajusté sur le nez pour ne pas le perdre quand je baille. Quand s'ouvre la porte coulissante, après les mains décapées par le savon et la brosse et les deux passages de gel hydroalcoolique, une casaque taille M bleue, je fais attention à ne rien toucher, une première paire de gants taille six-et-demi-silvouplait-merci, le noeud de la casaque stérile et la deuxième paire de gants.   
Je me faufile à ma place près de l'interne, on m'amène une petite estrade sur laquelle je me hisse, la tête dévissée pour essayer d'aperçevoir quelque chose. Les mains entre le nombril et les seins, pas en dessous ça désterilise, pas au dessus ça désterilise, il ne faut surtout rien attraper, laisser tomber ce qui glisse, ne pas frôler de trop près les anesthésistes ou les panseuses. 
"Mais elle s'endort l'externe ?". Non je ne m'endormirai pas, je vais tenir je vais tenir je vais tenir, je suis à côté de vous qui ne me parlez pas et je pense, je réfléchis, j'imagine des choses. Je ne peux pas vous poser de question parce que je ne saurais même pas quoi demander, je ne comprends absolument rien, je ne sais même pas où on est dans le ventre du patient je ne sais pas pourquoi il est sur cette table même si j'ai vu le titre de l'opération. Quand je suis entrée il était endormi, quand je sortirai il ne sera pas réveillé, je n'entendrai jamais sa voix et ne retiendrai pas son visage. 
Quand l'horloge transforme les secondes en heures interminables et que le seul bruit du bistouri électrique ne suffit plus à maintenir ma tête dans la pièce je descends de l'estrade et vais relire le dossier, et je cherche les analyses psy, les évaluations des aidants, les interrogatoires de la famille, le consentement éclairé du donneur qui explique toutes les raisons qui l'ont poussé à donner un bout de ses organes pour garder en vie près de lui celui que le chirurgien découpe. Tout ce qui peut rendre un peu d'humanité au corp ouvert et plein de sang, pour retrouver des histoires, pas seulement des organes. 
Je comprends qu'on puisse aimer ça, ouvrir-découper-brûler-recoudre, agir directement sur le patient, être minutieux et prendre le temps, mais moi j'ai besoin de parler, de créer un contact avec les gens et d'échanger ; je m'en fous de leurs viscères, je veux voir leur visage. ça me fait me sentir vivante de me dépècher aux urgences et je déteste plus que tout attendre quarante minutes entre deux blocs parce qu'on doit sortir le premier patient-laver-stériliser-rentrer le second patient-l'endormir. Je veux retourner en consultations, je veux voir des émotions, je veux essayer de rassurer (ou appeler le chef pour rassurer, soyons honnêtes), je veux me faire engueuler parce qu'on prend le temps d'expliquer, je veux voir des patients repartir soulagés, je veux pouvoir p-a-r-l-e-r. [plus que cinq mois] 



8 commentaires:

  1. Je comprends tellement...
    Pq 5 mois? C'est 5 mois d'affilée par chez vous, la chirurgie?

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  2. Courage <3
    Moi ça me passionne toujours autant d'être une petite souris qui voit ce qui se passe du côté des médecins.

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  3. Je comprends ce que tu dis! Quand je regardais Urgences (ouais, bon ça va...) je me faisais la même réflexion : tout ce temps sans parler au patient, quel dommage.
    Allez, courage, tu es une championne mini externe!

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  4. Je ne sais pas si je peux dire ça au futur médecin que tu t'apprêtes peut-être à de venir un jour mais.. infirmière, c'est pas mal aussi, si jamais....;o)
    caroline

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  5. Bonjour,
    je découvre ton blog, je suis CCA en gynécologie-obstétrique... et je suis un peu blessée, là. Tu n'as peut etre pas pu assister aux consultations pré op mais je peux t'assurer qu'on parle aux patients, qu'on prend le temps, et que les spécialités chirurgicales ne se limitent pas à une bande de bourrins qui ouvrent, découpent, crament 2-3 vaisseaux, ferment et partent sans se retourner. Vu le temps que je passe avant et après avec mes patientes, permets moi de penser que ta vision des choses est un peu est biaisée. Voilà. Si tu as croisé des individualités detestables, c'est malheureux et c'est notre lot à tous, j'ai été externe de chirurgie aussi, et clairement c'est pas facile tous les jours. Mes externes à moi sont priés d'avoir lu le dossier avant d'entrer en salle et d'avoir dit bonjour à la patiente avant qu'elle dorme, et ils assistent aux consultations pré et post op. Exemple parmi d'autre, et nous travaillons tous comme ça (en tout cas dans mon service). Bref je suis désolée que cela soit si dur pour toi, mais par pitié n'en fais pas une généralité. Il y a aussi et surtout des chirurgiens qui placent le patient au centre de leurs préoccupations sans se limiter à l'organe malade.
    Après, il en faut pour tout le monde, n'est-ce pas?
    allez, sans rancune

    Claire

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    1. Oh non je n'aimerais pas blesser qui que ce soit ! Dans les services de chir où je suis passée je n'ai pas pu assister aux consult pré op mais je sais que ça se passe autrement ailleurs, ce qui doit en effet changer beaucoup l'aspect de la chirurgie. Je ne dis pas du tout que les chir sont des bourrins [exception faite pour qqs orthos quand même], au contraire, leur minutie m'impressionne mais je suis incapable d'être aussi patiente et appliquée. Pas de généralité par ici, c'était juste mon ressenti face à mon inutilité au bloc, vraiment désolée si j'ai été vexante.

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    2. Pas de souci... cela fait echo egalement à notre impossibilité crasse à donner un vrai rôle à l'externe. Les stages où l'on est vraiment impliqué dans la vie du service sont ceux dont on garde le meilleur souvenir, n'est ce pas?
      Et +1 pour les ortho ;)

      Tres bonne continuation à toi

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  6. Punaise j'ai l'impression de lire l'histoire de ma première garde de chirurgie, sauf que pour moi il aura fallu 2 casaque et 3 paires de gants avant d'être complètement stérile... A me dégoûter à vie d'une spécialité que j'aurais pensé aimer. Courage pour la fin de ton stage !

    Valentin ;)

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