lundi 29 octobre 2012

Comme tu t'emportes

On prenait un café avec les copines devant l'hôpital pour profiter du soleil, se remplir d'un peu de chaleur. Derrière nous il y avait cette fille à côté de qui je passe mes journées, elle dans sa chambre et moi dans ma blouse. Elle fumait du bout des lèvres, rouges-chic, ses lèvres, parfaitement maquillée, en regardant les gens passer. Au début je n'ai vu que son manteau, beige avec moumouth sur la capuche comme j'en voudrais un, ses jambes fines et ses cheveux relevés en chignon, je ne l'ai pas reconnue, je n'ai même pas vu l'éducatrice qui la suivait, parce que non, elle n'a pas le droit de se déplacer seule. Et puis son prénom est revenu, et je me suis rappelée qu'il y a deux jours cette fille avalait tous les médicaments qu'elle trouvait chez elle, pour essayer que "ça s'arrête". Non, le malheur ne se voit pas, la douleur est inaperçue.

Un autre jour je suis entrée dans la chambre de la fille au même prénom que le mien, et me suis assise sur le fauteil, pas sur le lit on m'a dit, ce ne sont pas vos amies. Je lui demandé si elle avait bien dormi, comme si ça servait à quelque chose, comme si elle pouvait bien dormir entre ces aller venus, les bébés qui râlent dans la pièce d'à côté et les prises de tension à minuit, 4h, 8h pour être surs que ce n'est pas cette nuit que son coeur va décider d'arrêter de lutter. Elle a souri quand je n'ai plus eu de questions à lui poser, parce que je ne suis pas la psy, je ne suis pas l'éducatrice ni la médecin, je ne suis pas l'interne qui la suit, je ne suis rien, seulement cette fille qui s'assied chaque matin sur le fauteuil. J'ai regardé son ventre creux, deviné ses os sous le jean qui plisse, et me suis fixée sur ses yeux, puisqu'il n'y a plus qu'eux qui sont vraiment là, dans son corps à trois quarts effacé. Elle m'a dit qu'elle avait peur et je n'ai rien su répondre, pas pu la consoler. J'aurais aimé lui dire tout ce qui brille dehors, le soleil qui est encore un peu là, ceux qui l'attendent, sa vie, devant elle. Je me suis levée du fauteuil et j'ai refermé doucement la porte, pour ne pas la briser.

On est le 1er novembre, ça fait un mois que je suis externe.


2 commentaires:

  1. J'aime de plus en plus ta manière de dire autant de choses avec si peu de mots.

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  2. J'aime vraiment beaucoup cet article et j'aurais aimé avoir une externe avec qui discuter un peu quand j'ai passé quelques mois à l'hôpital, quand j'avais 16 ans.

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