J'ai relu les textes que j'avais écrit pour mes vingt-
deux, vingt-
trois, vingt-
quatre ans, parce que les mots se faisaient discrets, après le silence de ces dernières semaines. J'ai eu envie de me serrer fort, fort à m'en laisser des traces, en réalisant toute cette peur qui m'habitait il y a trois ans, et qui s'est distillée peu à peu, jusqu'à aujourd'hui, mes vingt-cinq ans. La peur de l'impermanence qui m'étouffait, les larmes qui accompagnaient chacune de mes nuits, une fois la lumière éteinte et son souffle ralenti. La douleur sourde qui m'épuisait, au creux du ventre, au coin du cœur, que tout change et s'effondre, que je dérape glisse me noie. Il y eu un
moment de ma vie où chaque soir je hurlais en silence mon angoisse, les joues dévastées par les larmes, et le relire me fait réaliser combien tout ça a aujourd'hui disparu.
Je vous écris depuis mon lit-radeau, première porte à gauche de mon appartement, devant le mur confetti et à droite de la cheminée hors d'usage mais si jolie. Je vous écris de cette ville que j'ai choisie en septembre, apprivoisée depuis et qui connait chaque matin un peu plus mes pas, sans que pour autant je puisse dire que c'est chez moi. Elle sent le pain grillé et le ciel y est rose un jour sur deux, c'est un bon début. Je vous écris et mes yeux se ferment d'avoir passé la nuit à l'hôpital. Mes yeux sans larmes. Il y a des bougies dans toutes les pièces et quand on passe la porte d'entrée ça sent les huiles essentielles de lavande à cause du flacon que j'ai renversé il y a plusieurs semaines. Je mets tout le temps la même couette blanche, et le matin je reste bien trop longtemps dessous à observer un coin ou l'autre de la pièce où j'ai disposé des photos et les mots doux de mes copines. Je crois que recevoir des courriers dans ma minuscule boîte aux lettres est la chose qui me rend le plus joyeuse ici.
C'est un drôle d'automne que je passe, en tête à tête avec moi même. Décembre est arrivé avec la date anniversaire à laquelle je m'étais promis d'ancrer sur ma peau le tatouage auquel je pense depuis deux ans, et finalement j'ai repoussé. Je me cuisine des purées de courge et de marrons un jour sur deux en écoutant Barbara, je teste une multitude de restaurants de burgers, et j'invite même mes co-internes dans mon préféré - malgré mon inquiétude à l'idée qu'ils critiquent - et bien sur ils sont conquis. Il vient me voir quand on peut, et cahin-caha on se construit un amour à petite distance. Je tiens un journal des jolies choses qu'il lit en semi-cachette quand je prends ma douche, et j'entends son sourire quand j'y parle de lui.
Parfois j'oublie que ce que je fais chaque jour à l'hôpital est le métier que je rêvais tellement d'apprendre lorsque j'étais externe, et combien chaque petite parcelle de pédiatrie me redonnait de la force pendant les gardes. Pas facile de s'émerveiller des petits patients quand il faut aller vite, vider les box, désengorger les urgences, ne pas remplir trop les lits des étages, gérer le déchoc, et essayer de ne pas zapper l'empathie malgré tout. Heureusement que les adultes malpolis et grincheux qui se trompent de côté me ramènent à la réalité, et alors je prends conscience de la chance de pouvoir ne faire que ça, que des enfants entre mes mains.
J'ai vingt cinq ans dans quelques jours. Est ce qu'il existe une liste de choses à avoir accomplies à vingt-cinq ans, sous peine d'avoir manqué un étape ? J'avance un jour après l'autre, et je réalise que j'ai peut être un peu laissé de côté le sensationnel et la folie dans cette petite vie que je me construis ici. J'essaie de bien faire et de me tenir droite. Je n'ai plus (trop) peur. Je marche moins vite. J'ai vacillé mais je ne regrette pas les choix que j'ai fait, je crois. En 2015 je n'ai laissé personne me dire que j'étais ridicule de chanter/danser/rire fort ou mettre du rouge à lèvre. J'ai d'ailleurs fait toutes ces choses.
On va se retrouver à Paris avec ceux qui pourront être là, on mangera le gâteau que je demande chaque année depuis la troisième, et on fera la blague sur l'originalité du choix du menu. Il y aura un sapin parce que ma mère sait combien j'adore ça, et surement des pancakes au matin de noël.
J'ai vingt-cinq ans, et ça va.
J'espère que vous aussi, vous allez bien.
Que 2016 vous soit douce.