jeudi 23 octobre 2014

Il pleut des larmes de crocodile

On pose nos mains à plat sur nos cuisses et on ferme les yeux. La voix du médecin qui a décidé de nous initier à l'hypnose se fait plus douce et nous intime de nous concentrer sur ces mains justement, la sensation de l'air qui les entoure, le tissu qui crisse sous nos doigts, l'appartenance à notre corps et leur délimitation. Il faut un joli souvenir sur lequel se concentrer et évidemment j'en choisis un où il y a la mer, le vent dans mes cheveux et des rires étouffés - les souvenirs d'avant la tempête de l'été ne sont plus autorisés. Je suis d'abord tentée de rire un peu, pouffer pour ne pas me laisser aller, mais finalement sa voix coule dans ma tête et semble délier quelques nœuds, ranger ce qui bouillonne sans cesse derrière mes yeux du matin au soir, et puis la nuit. Quand je les rouvre de longues minutes plus tard j'ai l'impression de m'être délestée d'une part d'angoisse et de me tenir un peu plus droite. Il faudra retenter l'expérience seule si j'y arrive, les rideaux tirés et le calme de ma chambre pour me concentrer. 

Un soir que l'on fait des plans sur la comète pour l'été prochain avec les amis de la fac, comptant et recomptant tous les gens qu'il faudra inviter dans notre future villa-avec-piscine, un des garçons prononce à voix haute l'évidence que tout le monde s'efforce d'ignorer depuis le début du dîner : "il manque quelqu'un quand même...". Oui, il manque quelqu'un, Il manque, il me manque. N'en parlez plus, supprimez tous les gens qui portent son prénom, annulez les cours où je croise son dos et son souvenir restera une douleur sourde que je tairai, promis. Je sais vivre avec l'absence. 

Avec l'arrivée du froid qui commence juste à piquer les joues, j'ai ressorti mes grosses écharpes et toute ma panoplie de petits rituels rassurants. Le porridge du matin et le thé de l'après midi - et quel plaisir de choisir celui qui accompagnera mes cours ! -, les carrés de chocolat noir 99% croqués à seize heures, la couverture et les grosses chaussettes pour les fin d'après-midi. Je me surprends bien trop souvent à regarder à travers ma fenêtre la façade de l'immeuble de l'autre côté de la rue. Au troisième étage, le balcon après le renfoncement abrite plusieurs fois par jour un homme en t-shirt qui fume, qu'il neige ou qu'il pleuve des cordes. Depuis six ans que nous nous observons, j'ai vu ses cheveux s'éclaircir, sa moto changer plusieurs fois et son fils passer de tout petit marmot qui se dandinait dans la rue à presque-ado dont les cris arrivent parfois jusqu'à mes oreilles. Je me demande ce qu'il se dit de cette fille qui passe ses journées à son bureau à boire du thé, inlassablement, années après années. 



/ la meilleure playlist de l'automne est ici si ça vous dit /
/ pour commander des jolis mots c'est chez ma copine Hélène /

dimanche 12 octobre 2014

Ceux qu'octobre illumine

C'est un de ces dimanches pelotonnée sous un vieux plaid, un de ces dimanches qu'on redoutait lorsque le soleil réchauffait encore nos peaux et qu'on se surprend à finalement apprécier, le thé sur les genoux et les nuages qui assombrissent les livres ouvert sur le bureau. Il faut dire que c'est un dimanche qui avait commencé plus tard que d'habitude avec du miel de lavande dégusté sous les draps, et ça alors, ça transformerait n'importe quelle journée. C'est pour ce genre de dimanche que je commence à me résoudre à l'arrivée de l'automne, même si ça veut dire laisser cet été derrière moi et avec lui les toutes dernières miettes de mon amour écrabouillé. Cet été comme un écho à l'été deux mille douze, les deux été cœurbrisé mais cœur qui bat bien plus fort. Est ce qu'on vit encore mieux quand on a cru mourir de chagrin quelques jours avant ? Cet été là où j'ai compris ce qui comptait, où j'ai laissé tomber les barrières et accepté de me retrouver m-o-i un peu plus. Il aura fallu cette île loin de tout où je me suis heurtée à chacune des habitudes grecques pour finalement réaliser que c'était exactement ça dont j'avais besoin pour me relever, une vraie liberté un peu folle, très irresponsable, mais tellement plus vivante que le monde millimétré dans lequel j'évolue depuis six ans. 
Je ne suis pas très forte pour les renoncements il parait, mais avec octobre est venu le moment tant redouté où je suis devenue incapable de me figurer exactement à quoi ça ressemblait d'être contre lui. J'ai oublié, effacé de ma mémoire, dés-imprimé de mon corps ce qui a fait le jour pendant si longtemps pour que mes larmes n'aient plus jamais le goût de ses abandons.