vendredi 11 avril 2014

Dehors il fera mauve

L'évidence que je n'ai rien à faire là, en cinquième année de médecine, entourée de cerveaux bouillonnants à l’affût de la posologie qui leur fera gagner cinquante places à l'ECN. Et pourtant la profonde certitude que ma place est aux côtés des patients, assise du bout des fesses sur le bord du lit. Au fond d'un box de consultation des urgences pédiatriques à bercer un tout bébé pendant que sa mère règle son admission dans le service. Main dans la main avec une petite fille qui porte un bandana rose pour cacher son crâne blanc sur lequel une dizaine de cheveux résistent. Si c'est le chemin obligé pour pouvoir chaque matin arriver dans un service peint de toutes les couleurs, plafond duquel pendent des grues en origamis, au fond la bibliothèque et juste à côté le salon des parents, alors je le ferai. Le compte à rebours va bientôt se terminer pour les D4, j'entamerai dans quelques semaines ma dernière année vers la vraievie.

Il y a eu ce patient, mon dernier patient de réa avant que l'on change de service. Il mérite que l'on se souvienne de lui, beau comme un dieu et souriant de ses grandes dents blanches alors qu'il subissait une énième hospitalisation. En face de son lit une carte postale de la mer, il regardait des dessins animés le matin en attendant la visite. J'aurais voulu ne pas savoir, j'aurais voulu pouvoir me tromper moi même, mais j'ai reçu un sms disant qu'ils avaient arrêté son respirateur le lendemain de mon dernier jour. Je dépose alors son souvenir ici.

Il peut se passer des semaines sans que j'y pense, puis un soir les mots affluent et j'ai envie de revenir écrire ici quelques lignes pour vider ma tête des phrases qui l'emplissent. J'ai dit au revoir à la dame du samedi, un au revoir comme un adieu parce que je sais que je ne pourrai plus m'y épancher. Elle m'a guidée au début du chemin, mais il a suffit d'une fois alors qu'elle cherchait à expliquer une de mes peurs où le non sens de ses paroles m'a frappé. Je continuerai seule, ou seule et un peu accompagnée de vos passages ici. De toute façon quand il prend ma main et qu'il la caresse tout doucement avec son index, je crois que je n'ai plus peur de rien.


6 commentaires:

  1. C'est comme à vélo: il faut toujours regarder là où on veut aller, sinon on tombe.
    Mais tu sais quoi, quand on tombe? On frotte ses coudes égratignés, on met un pansement au genou, et puis on remonte en selle.

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  2. La belle pause que tu m'offres, j'aimerais bien te croiser dans un de ces services un jour, peut être en blouse blanche ou une boîte de chocolats à la main...
    Je t'embrasse!

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  3. Ca laissera du temps, le samedi, pour aller regarder les murs couverts de glycine, siroter ce qu'il faut pour continuer le chemin, savourer ces instants qui au delà des peurs passées ou futures te donnent le force d'avancer vers ce but et de franchir les étranges rites de passage imposés...

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  4. Les mains qui nous prennent par la main et qui caressent nos peurs en les chassant de nos paumes blessées, je connais, c'est bien, c'est bon....
    Mais ça ne suffit pas...
    Quand la main s'éloigne.... il faut rester droite malgré tout !
    Bisous bichette

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    1. Oh, ça, je l'ai appris à mes dépends. Plus jamais je ne dépendrai d'une main, mais tant qu'elle est là autant en profiter...

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  5. Il faudrait plus de (futurs) médecins comme vous... Merci de continuer à écrire.

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